"Oui, l'agriculture biologique peut nourrir le monde"
Jacques Caplat, agronome et auteur de L'Agriculture biologique pour nourrir l'humanité tord le cou aux idées reçues sur le bio. Selon lui, l'agriculture biologique serait un modèle bien plus efficace que l'agriculture conventionnelle et pourrait permettre de nourrir tout le monde.
Jacques Caplat est agronome, ancien conseiller agricole et fils d’agriculteur. Il est convaincu que l’agriculture biologique est la solution face à un modèle intensif qui détruit la planète et laisse près de 842 millions de personnes mal nourries dans le monde. Dans son livre, L’Agriculture biologique pour nourrir l’humanité, il coupe court aux idées reçues sur l’agriculture biologique, encore trop souvent perçue comme l’utopie de quelques hippies ou comme un simple phénomène marketing. Persuadé qu'il est possible de produire suffisamment en bio pour nourrir l'humanité, il rappelle que le modèle de l’agriculture intensive occidentale n’est pas le seul possible. Interviewé par le magazine Reporterre, Jacques Caplat revient sur les limites de l’agriculture conventionnelle et retrace les grandes lignes de la bio, en expliquant les préceptes et affirmant que “Oui, l’agriculture biologique peut nourrir le monde”. Dans la préface de votre ouvrage, l’agronome Claude Aubert explique que l’agriculture conventionnelle ne peut pas nourrir le monde. Pourquoi ?
L’agriculture conventionnelle a été conçue en Europe pour l’Europe
On a un peu tendance en Europe à penser que l’agriculture, c’est notre agriculture. Mais il y a mille agricultures possibles. En Asie et en Amérique Latine, l’agriculture s’est construite autour des cultures associées. En Europe et au Moyen-Orient, elle s’est construite autour des cultures pures, telle que dans un champ de céréales, il y a une seule plante. Même les élevages sont spécialisés.
[...] Le système conventionnel c’est cela : des variétés sélectionnées complètement irréelles, que l’on cultive avec des engrais et des pesticides chimiques, dans un système très mécanisé. Le problème de ce modèle est qu’il demande que l’on reproduise au champ les conditions idéales de la sélection. C’est possible dans les milieux tempérés. Mais les trois quarts de la planète ne sont pas tempérés. Et c’est la grande imposture de l’agriculture conventionnelle quand elle a voulu se généraliser à l’ensemble de la planète sous le nom de "Révolution verte" : on a développé une agriculture conçue dans un contexte particulier et on l’a appliquée au monde entier.
Je suis effaré d’entendre des gens dire que le riz amélioré en Inde fait dix tonnes par hectare. Les paysans indiens que je connais ne font en moyenne que trois tonnes par hectare en conventionnel. Effectivement, les bonnes années, ils sortent dix tonnes. Mais deux années sur trois sont mauvaises... Et ces années-là, ils ne produisent qu’une tonne par hectare parce que, quand ça ne marche pas, ces variétés conventionnelles, ça ne marche vraiment pas… Donc ce système ne peut pas nourrir la planète. C’est pour cela qu’il y a entre 800 millions et un milliard de personnes qui souffrent de la faim dans le monde.
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[...] Le système conventionnel c’est cela : des variétés sélectionnées complètement irréelles, que l’on cultive avec des engrais et des pesticides chimiques, dans un système très mécanisé. Le problème de ce modèle est qu’il demande que l’on reproduise au champ les conditions idéales de la sélection. C’est possible dans les milieux tempérés. Mais les trois quarts de la planète ne sont pas tempérés. Et c’est la grande imposture de l’agriculture conventionnelle quand elle a voulu se généraliser à l’ensemble de la planète sous le nom de "Révolution verte" : on a développé une agriculture conçue dans un contexte particulier et on l’a appliquée au monde entier.
Je suis effaré d’entendre des gens dire que le riz amélioré en Inde fait dix tonnes par hectare. Les paysans indiens que je connais ne font en moyenne que trois tonnes par hectare en conventionnel. Effectivement, les bonnes années, ils sortent dix tonnes. Mais deux années sur trois sont mauvaises... Et ces années-là, ils ne produisent qu’une tonne par hectare parce que, quand ça ne marche pas, ces variétés conventionnelles, ça ne marche vraiment pas… Donc ce système ne peut pas nourrir la planète. C’est pour cela qu’il y a entre 800 millions et un milliard de personnes qui souffrent de la faim dans le monde.
Alors qu’est-ce que l’agriculture bio ?
Il s’agit de remettre de l’agronomie dans l’agriculture. [...] C’est-à-dire en mettant en relation l’ensemble des éléments constituant une ferme. C’est un changement considérable, une démarche systémique, alors que la démarche européeenne était réductionniste.
Au lieu de se battre contre le milieu, l’agriculture biologique se sert du milieu. Un des points de départ est d’avoir des variétés ou des races d’animaux adaptées au milieu, qui doivent pouvoir y évoluer.
Deuxième élément fondamental : arrêter de partir des cultures pures qui sont le mode de production le moins performant du point de vue agronomique et chercher plutôt des cultures associées, c’est-à-dire plusieurs cultures sur la même parcelle, ensemble ou en rotation.
Mais l’agriculture bio ne perd-elle pas en performance ?
En Europe, on croit que la bio est moins productive que l’agriculture conventionnelle, parce que l’on ne sait pas les comparer. Aujourd’hui les protocoles prennent une variété de blé conventionnel sélectionnée pour la chimie et la mécanisation. Puis pour le bio ils prennent le même blé qui va être cultivé en culture pure sans chimie : ce n’est pas un protocole de comparaison conventionnel-bio, c’est un protocole de comparaison conventionnel-conventionnel sans chimie. Dans ce cas, les rendements en bio sont forcément inférieurs.
Comment pouvez-vous affirmer que l’agriculture biologique peut nourrir l’humanité ?
[...] Les études à l’échelle planétaire (1) indiquent que si l’on transformait l’agriculture mondiale en bio, les rendements globaux augmenteraient. On perdrait entre 5 et 20 % en Europe et au Canada, mais on augmenterait de 50 à 150 % dans le reste du monde (aux Etats-Unis le rendement de la bio égale celui du conventionnel). Donc même en ne se remettant pas vraiment en cause en Europe, passer en bio à l’échelle planétaire permet de nourrir neuf milliards d’êtres humains.
Mais il faut aller plus loin. [...]
Par exemple, l’école d’agronomie de Rennes a mené une étude sur la surface nécessaire pour nourrir la métropole de Rennes. Première hypothèse, le scénario tendanciel : consommation actuelle et agriculture conventionnelle. Ils en déduisent qu’il faut cultiver un anneau de 15 km au delà des limites de Rennes pour nourrir la métropole. Deuxième scénario, on passe en bio, on fait un peu d’agriculture urbaine et on consomme moins de viande - car de toutes façon bio ou pas bio notre système carné occidental n’est pas généralisable à la planète. Dans ce cas, il suffit d’un anneau de huit km autour de Rennes pour nourrir la ville. C’est quasiment deux fois moins de surface en bio qu’en conventionnel."
Mais l’agriculture bio ne perd-elle pas en performance ?
En Europe, on croit que la bio est moins productive que l’agriculture conventionnelle, parce que l’on ne sait pas les comparer. Aujourd’hui les protocoles prennent une variété de blé conventionnel sélectionnée pour la chimie et la mécanisation. Puis pour le bio ils prennent le même blé qui va être cultivé en culture pure sans chimie : ce n’est pas un protocole de comparaison conventionnel-bio, c’est un protocole de comparaison conventionnel-conventionnel sans chimie. Dans ce cas, les rendements en bio sont forcément inférieurs.
Comment pouvez-vous affirmer que l’agriculture biologique peut nourrir l’humanité ?
[...] Les études à l’échelle planétaire (1) indiquent que si l’on transformait l’agriculture mondiale en bio, les rendements globaux augmenteraient. On perdrait entre 5 et 20 % en Europe et au Canada, mais on augmenterait de 50 à 150 % dans le reste du monde (aux Etats-Unis le rendement de la bio égale celui du conventionnel). Donc même en ne se remettant pas vraiment en cause en Europe, passer en bio à l’échelle planétaire permet de nourrir neuf milliards d’êtres humains.
Mais il faut aller plus loin. [...]
Par exemple, l’école d’agronomie de Rennes a mené une étude sur la surface nécessaire pour nourrir la métropole de Rennes. Première hypothèse, le scénario tendanciel : consommation actuelle et agriculture conventionnelle. Ils en déduisent qu’il faut cultiver un anneau de 15 km au delà des limites de Rennes pour nourrir la métropole. Deuxième scénario, on passe en bio, on fait un peu d’agriculture urbaine et on consomme moins de viande - car de toutes façon bio ou pas bio notre système carné occidental n’est pas généralisable à la planète. Dans ce cas, il suffit d’un anneau de huit km autour de Rennes pour nourrir la ville. C’est quasiment deux fois moins de surface en bio qu’en conventionnel.»
Notes :
(1) Etudes sur les possibilités de la bio à l’échelle mondiale :
. rapport d’Olivier de Shutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation : Agroécologie et droit à l’alimentation
. Pretty Jules et al., « Resource-Conserving Agriculture Increases Yields in Developing Countries », Environmental Science and Technology, 2006.
. Pretty Jules, « Lessons from certified and non-certified organic projects in developing countries », in Organic agriculture, environment and food security, FAO, 2002.
. UNEP (United-Nation Environmental Program), Organic agriculture and food security in Africa, 2008.
. Badgley Catherine et al., Organic agriculture and the global food supply, Renewable Agriculture and Food Systems, Cambridge University Press, 2007.
. Halberg Niels et al., Global Development of Organic Agriculture : Challenges and Prospects, DARCOF, 2006.