Produits laitiers, entre tromperie et désinformation par Thierry Souccar

Pack shot de différents produits laitiers
Produits laitiers, entre tromperie et désinformation par Thierry Souccar
Par Mathieu Doutreligne publié le
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Interview de Thierry Souccar par Mathieu Doutreligne pour Bio à la Une. Thierry Souccar est un spécialistes français de nutrition et de biologie du vieillissement. Il est membre de l’American College of Nutrition et auteur de plus de 15 livres, dont le best-seller Lait, mensonges et propagande (2007, Thierry Souccar Éditions) ainsi qu’un livre plus récent sorti en 2013 Le mythe de l’osthéoposose. Il est également le fondateur du site indépendant LaNutrition.fr

Bio à la Une : Tous nos lecteurs se posent la même question : le lait est-il bon ou mauvais pour la santé ? C’est un débat permanent. Quelle est votre réponse ?
Thierry Souccar : Si vous n’êtes pas intolérant au lactose et si vous n'avez pas de maladie auto-immune, le lait n’est pas un aliment interdit, mais il faudrait quand même le consommer avec modération (une à deux portions maximum par jour) pour se mettre à l'abri des risques associés à une surconsommation de produits laitiers.

Il faut savoir qu'au niveau des apports officiellement recommandés, soit 3 à 4 produits laitiers par jour, on observe un risque accru du cancer de la prostate chez l’homme, du cancer des ovaires chez la femme, un risque plus important de Parkinson et de cancer lymphatique pour les deux sexes, un risque de diabète de type-1 chez les enfants génétiquement prédisposés.

Bio à la Une : Qu'est-ce que l'intolérance au lactose et qui est concerné ?
TS :
Le lactose, c’est le sucre du lait de mammifère y compris le lait humain. Nous avons tous à la naissance une enzyme, la lactase, qui nous permet en tant que bébés de digérer le lait de notre maman. Cette enzyme transforme le lactose en galactose et en glucose, c’est-à-dire en une source d’énergie.

Cette enzyme disparaît ou diminue fortement d'activité chez la plupart des êtres humains après l’âge de trois ou quatre ans, qui est l'âge auquel nos ancêtres étaient sevrés. C'est la règle dans notre espèce et 75% des habitants de la planète ne digèrent plus le lactose du lait après cette période. Les autres, soit 25% sont les descendants de peuples d'éleveurs qui ont subi il y a 5000 ans environ une mutation génétique qui leur permet de conserver cette capacité de digérer le lait. Ce sont surtout les habitants de l'Europe du Nord, mais aussi des Etats-Unis, d'Australie, Nouvelle-Zélande, les Mongols, les Peulhs, les MasaÏ, etc... Mais si vous donnez un verre de lait à un Méditerranéen, un Cambodgien ou à un Nigérian, vous avez de grandes chances de le voir indisposé.

Bio à la Une : Qu'est-ce que l'intolérance au lactose et qui est concerné ?
TS :
Le lactose, c’est le sucre du lait de mammifère y compris le lait humain. Nous avons tous à la naissance une enzyme, la lactase, qui nous permet en tant que bébés de digérer le lait de notre maman. Cette enzyme transforme le lactose en galactose et en glucose, c’est-à-dire en une source d’énergie.

Les femmes d’Europe du nord ont beau avoir les os les plus denses au monde, elles ont le record mondial de fractures du col du fémur. Et ce sont les plus grosses consommatrices de laitages sur la planète. Cela montre bien que le critère de la densité osseuse n’a pas d'intérêt.

L’histoire du lait est comparable à celle du cholestérol. On vous dit de manger des margarines de telle marque avec des phytostérols pour faire baisser le cholestérol, en pariant sur le fait que dans l’imaginaire des consommateurs cela équivaut à une protection contre l'infarctus. Or aucune étude ne montre que ces margarines préviennent l'infarctus, et en plus 80% des gens qui font un infarctus fatal n'ont pas de cholestérol élevé.

Bio à la Une : Les produits laitiers apportent-ils des bénéfices ?
TS : Oui. Les études menées dans les pays développés montrent que les gros consommateurs de produits laitiers ont un peu moins de cancers du côlon et du rectum que ceux qui en consomment peu. Mais je n'encourage pas les gens à manger beaucoup de produits laitiers pour réduire leur risque de cancer du côlon, tout simplement parce que c'est prendre d'autres risques pour sa santé, et surtout parce que l'on sait prévenir ce type de cancer grâce aux fibres, aux fruits, légumes, noix etc... Cette maladie n’existe pas chez les populations qui ne consomment jamais de laitages comme en Afrique ou en Asie.

Bio à la Une : Est-ce la même chose pour l’organisme de boire du lait, manger un yaourt ou déguster un fromage ?
TS :
La différence essentielle entre ces aliments tient à la teneur en lactose. Vous en avez plus dans le lait que dans les fromages, notamment les fromages à pâtes durs. Les gens intolérants au lactose peuvent consommer un peu de fromage. Et aussi du yaourt, à condition qu’il soit fait sans ajout de lait en poudre qui contient du lactose.

La seconde différence importante concerne le potentiel acidifiant de ces aliments. Le lait possède un potentiel acidifiant faible, alors que les fromages ont un potentiel acidifiant très élevé, c’est-à-dire qu’ils amènent dans l’organisme des substances qui font baisser le pH du corps. Le corps lutte au quotidien contre cette acidification. C’est une situation à prendre en compte par les gros consommateurs de fromage, car, avec l'âge, les systèmes tampons de l’organisme, notamment les poumons ou les reins, sont de moins en moins efficaces. On voit alors s’installer une acidose chronique. L’os étant également un élément tampon de l’organisme, un corps en acidose peut amener plus de fractures car l'organisme cherche à contrer l'acidose en allant puiser dans le calcium osseux puisque le calcium est alcalinisant.

Aujourd’hui, on pense qu’un excès de laitage, de tous types, peut fragiliser l’os, surtout dans la deuxième moitié de la vie. Attention, ces aliments ne sont pas interdits, ce sont les excès qui sont déconseillés.

Lire >> 5 alternatives au lait pour faire le plein de calcium

Bio à la Une : Quelle est la différence entre un lait de vache bio et un autre non bio ?
TS :
En termes de calcium et de protéines, c’est la même chose pour tous les laits de vache. Un lait bio et un autre non bio possèdent les mêmes teneurs. Toutefois, un lait standard et un lait biologique diffèrent par d'autres aspects. Les principales différences portent sur le type de graisses et la teneur en pesticides. Par exemple, le lait conventionnel peut être un facteur de risques pour la maladie de Parkinson du fait qu’il cumule des pesticides qui ont une affinité avec les graisses. Des pesticides qui sont toxiques pour les cellules nerveuses. En consommant du lait bio, vous réduisez fortement cette exposition, et donc vos risques de développer cette maladie. Par ailleurs, dans les graisses du lait bio, vous trouverez plus d’oméga-3, bénéfiques pour la santé.
Par ailleurs le non bio renferme souvent des hormones en quantité plus élevée. Dans les grandes exploitations, les vaches sont traites pendant la gestation, une période où les taux de leurs hormones sont au plus haut; ces hormones se retrouvent dans le lait. On parle ici des œstrogènes et de la progestérone. Leur présence est problématique.

Ces hormones qui ne sont pas détruites par la chaleur sont les mêmes que celles fabriquées par l’être humain. On ne sait pas encore quels problèmes sont liés à cette présence, car on manque d’études, mais certaines études ont montré une augmentation du risque de cancers des testicules. L’année dernière, une étude américaine a montré que les jeunes hommes qui consomment régulièrement du fromage, possèdent moins de spermatozoïdes que ceux qui n’en consomment pas du tout.

D’une manière générale, le lait peut provoquer ou exacerber des maladies auto-immunes chez les personnes à risque. Le lait bio ne met pas à l’abri de ce type de troubles.

Bio à la Une : Que faut-il penser du lait de soja, d’avoine, de riz, d’amande, etc ? Demain, faut-il arrêter les laits animaux pour ne consommer que des laits végétaux ?
TS :
Les problèmes rencontrés avec les laits animaux n’apparaissent pas avec les laits végétaux, sauf pour le lait de soja qui peut entraîner des allergies. Ces laits végétaux sont tous différents. Le lait de soja est assez riche en protéines, sa teneur est similaire à celle du lait de vache. Les autres laits végétaux sont tous moins riches en protéines. Ils n’engendrent pas de réactions immunitaires. Ce sont des boissons anodines, en particulier les laits d’amande et d’avoine qui s’avèrent intéressants au quotidien à condition de ne pas les choisir trop sucrés ou si on les fait maison, de les sucrer peu ou pas du tout.

Le lait de riz est à utiliser avec un peu plus de précaution, car son index glycémique est élevé, donc si on en boit beaucoup il y aun risque de surpoids.

D’une manière générale, les laits végétaux disponibles en grandes surfaces ou en magasins bio, ne doivent pas être donnés aux nourrissons, pas plus que les laits de vaches. En revanche, on peut donner aux nourrissons des préparations à base de lait de soja.

Bio à la Une : Qu’est-ce qu’un bon régime alimentaire ? Un régime qui accepte les produits laitiers ou qui les exclut ?
TS :
Nous conseillons un régime très proche de celui de nos ancêtres, c’est-à-dire une nourriture débarrassée de tout additif, sans trop de sel, de sucre et d’excès de cuisson, avec beaucoup de végétaux. Les laitages ne sont pas indispensables, il est inutile de les surconsommer pour la santé osseuse. Nos recommandations sont de 0 à 2 laitages par jour. Il n’y a pas d’interdit, mais aucune obligation. Vous pouvez aller jusqu’à 2 si vous les tolérez, mais vous pouvez également ne pas en consommer. C’est la grande différence avec les messages officiels qui voient le lait comme un aliment incontournable pour la santé des os.

Le problème de l’alimentation doit être traité à la source. Il est important de passer du temps en cuisine, préparer soit même ses repas à partir de beaucoup de végétaux et peu ou pas de produits transformés. Faites le marché et achetez des produits bruts.

Pour comprendre cette démarche alimentaire, il faut comprendre l’histoire de l’homme qui remonte à 7 millions d’années. Pendant tout ce temps, notre alimentation a été dépourvue de laitages. La domestication des animaux n'apparaît que pendant la révolution néolithique il y a 10.000 ans. Ce changement à mis fin à la chasse, la pêche et la cueillette comme seuls moyens de subsistance; ils ont été remplacés en grande partie par l’agriculture et l’élevage.

La révolution agricole du néolithique a eu des avantages : elle a été bénéfique pour l’expansion de l’humainté. Nous sommes actuellement plusieurs milliards sur terre. Il n’est pas possible de nourrir une population aussi importante avec un régime de chasseur-cueilleur. L’agriculture et l’élevage permettent de nourrir une grande quantité de personnes tout en spécialisant la population. Il y avait les paysans qui fournissaient la nourriture, ce qui a permis à d'autres de devenir soldats, penseurs, ingénieurs, artistes, médecins, leaders... pour structurer la société dans le sens d'une meilleure efficacité, du progrès technique et de la connaissance.

Bio à la Une : En tant que consommateur, si les messages institutionnels et publicitaires qu’on entend sur le lait sont faux, qui faut-il croire ? D’une manière générale, comment s’informer sans lire trop de mensonges ?
TS :
Il faut se méfier des messages qui imposent une façon de manger ou de se comporter. Tout consommateur concerné par ces questions devrait apprendre à se muer en détective scientifique de sa propre santé. On est inévitablement confronté un jour à la maladie. La sienne ou celle d'un proche. Une maladie bénigne ou pas, chronique ou pas, grave ou pas. C’est le sort de l’humanité. On va vous dire que vous avez de l’arthrose, un kyste, un diabète ou même un cancer. Votre médecin généraliste vous donnera alors un conseil, bon au mauvais. Un spécialiste vous proposera peut-être une intervention qui sera la bonne, ou pas. Il vous proposera également un traitement qui sera bon, ou qui ne sera peut-être pas bon.

Aujourd’hui, si vous avez du diabète, on va vous proposez de prendre des statines. Nous savons que c’est un traitement inutile, parce qu’aucune étude indépendante ne montre que ces statines font baisser la mortalité. Au contraire, elles augmentent le risque de diabète.

Donc les gens doivent chercher par eux-mêmes, apprendre à lire les études, se familiariser avec le jargon médical, interroger plusieurs spécialistes, bref se faire leur propre opinion. Pour le lait, c’est le cas, car les consommateurs sont confrontés à une multitude de discours. L’industrie laitière va tenir un discours. Les pouvoirs publics vont en tenir un autre qui est celui de l’industrie. Il est nécessaire de posséder d’autres sources d’informations, comme le livre que j’ai écrit qui offre des pistes, des études, des données qu’il faut aller chercher, interpréter, comprendre. Il existe une multitude de sources d’information.

La véritable information demande du travail. Je ne demande pas aux gens de me croire sur parole, simplement d'aller vérifier par eux-mêmes si ce que je rapporte est fondé. Les messages que je divulgue sont faits pour enrichir le travail personnel.

Bio à la Une : Vous vous positionnez en amont de l’information, sur la crête, vous avez parlé du bisphénol A avant tout le monde, c’était en 1995. Depuis, le composé toxique a fait couler beaucoup d’encre. Avez-vous d’autres scoops pour nos lecteurs ?
TS :
Nous voyons les études bien en avance, nous allons dans les congrès scientifiques, nous sommes au contact des chercheurs. Voilà pourquoi, qu'il s'agisse du site LaNutrition.fr ou de Thierry Souccar Editions, nous pouvons accélérer le passage de l’information, de la recherche au grand public. Quand j'ai dit en en 1997 qu’il y avait un lien entre la consommation de lait et le cancer de la prostate, on m’a traité de fou. Il a fallu 10 ans pour que ce lien soit reconnu par les autorités sanitaires, les médias, et même par l'industrie laitière, même si elle cherche à le minimiser.

Aujourd'hui, on est sur des domaines encore en friche. Mais par exemple, on vient de publier deux livres sur le régime cétogène riche en graisses, pauvre en glucides, qui montrent qu'il pourrait être un traitement efficace contre Alzheimer, mais aussi contre le cancer (1). Il y a encore beaucoup d'incertitudes mais il y a aussi des études, des chercheurs, des patients, qui sont traités, qui voient leur sort amélioré. Dans le corps humain, les cellules cancéreuses se développent dans un milieu qui leur apporte beaucoup de glucides. Cependant, si elles sont un peu sevrées de ces sucres et confrontées à des molécules issues des graisses, les tumeurs ont tendance à se stabiliser. Des expériences concluantes ont déjà été menées sur les animaux. On commence à en voir chez l’homme. L’idée est d’adapter un régime fortement réduit en sucre, remplacé par des graisses de toutes origines (animales, végétales). Le corps se retrouve alors dans un état proche de celui dans lequel on jeûne. On produit alors des corps cétoniques que l’organisme sait très bien utiliser. Voilà pourquoi en Allemagne, le régime cétogène et les jeûnes thérapeutiques sont de plus en plus proposés contre le cancer. Ils devraient se démocratiser en France d’ici quelques années. Ce régime est aussi très intéressant pour les malades d'Alzheimer car les cellules nerveuses, dans cette maladie, ne savent plus utiliser le glucose comme source d'énergie mais elles peuvent utiliser les cétones.

Je ne dit pas que la diète cétogène est miraculeuse, simplement que c’est un outil de plus à disposition des patients.

(1) Le régime cétogène contre le cancer, par le Pr Ulrike Kämmerer et Maladie d'Alzheimer : et s'il y avait un traitement, par le Dr Michèle Serrand