Élevage traditionnel, élevage bio… un moindre mal ?
Les agriculteurs qui pratiquent l’élevage dans un milieu naturel offrent aux animaux des conditions de vie incomparablement meilleures que celles qui règnent dans les systèmes de production industrielle et ils souffrent beaucoup moins. Toutefois, la situation est loin d’être rose. Les animaux restent considérés comme des produits de consommation et la recherche du profit et de la rentabilité se fait toujours à leur détriment.
L’éleveur traditionnel, comme l’explique Jocelyne Porcher, entretient avec ses bêtes une relation beaucoup plus humaine, il les connaît individuellement et tout n’est pas organisé autour d’une maximisation obsessionnelle du profit, l’animal n’étant pas réduit à une « chose » que l’on exploite sans merci. Néanmoins, comme le souligne le philosophe Thomas Lepeltier : « Derrière l’image très idéalisée d’une relation de confiance fondée sur une sorte de contrat tacite, il y a une réalité souvent bien plus glauque […] L’élevage traditionnel reste une activité qui repose sur l’exploitation des animaux. Ce qui engendre immanquablement de la cruauté. »
En particulier, naissance après naissance, les éleveurs traditionnels arrachent toujours aux vaches, aux chèvres et aux brebis leurs petits veaux, chevreaux et agnelets, afin de prendre leur lait. Les nouveau-nés qui ne sont pas destinés à devenir des futures mères ou des géniteurs, sont rapidement envoyés à l’abattoir. Quant aux animaux adultes, ils subissent le même sort, dès qu’il n’y a plus d’intérêt économique à les exploiter. Des conditions temporairement meilleures n’épargnent pas aux animaux les traumatismes du transport vers le lieu de leur mise à mort où ils subissent les mêmes souffrances que celles qu’endurent leurs congénères dans le système industriel. L’affirmation selon laquelle les éleveurs traditionnels ne pratiquent pas l’élevage pour gagner de l’argent sur le dos des animaux, mais pour vivre avec eux est donc contestable, puisque cet élevage reste une entreprise de mort programmée.
De plus, bien des appellations qui attirent le consommateur bien intentionné sont souvent trompeuses. Le label « bio » attribué aux volailles ne signifie nullement qu’elles sont élevées dans la nature, mais seulement qu’elles sont nourries avec des céréales bios. Même les volailles cataloguées « élevées en plein air » vivent en vérité dans de sordides hangars où 9 à 12 oiseaux s’entassent sur chaque mètre carré. De temps en temps, on les fait circuler dans un couloir grillagé, ou on les laisse sortir brièvement à l’extérieur pour qu’elles puissent marcher un peu. Nous sommes donc loin des « poules heureuses » que nous vantent les publicités. Quant à l’élevage en « libre parcours », il suppose un accès à un terrain vaste et ouvert, recouvert en partie de végétation. Toutefois, même dans ces conditions beaucoup plus vivables, les animaux subissent toutes sortes de sévices — castrations avec ou sans anesthésie, séparation des mères et des petits, élimination des poussins mâles dès la naissance, « réforme » (c’est-à-dire mise à mort) des poules qui pondent moins afin de ne plus avoir à s’en occuper, etc.
Lors d’un débat organisé par Ecolo-Ethik au palais du Luxembourg, au Sénat, j’ai cité la phrase de George Bernard Shaw : « Les animaux sont mes amis et je ne mange pas mes amis. » Un éleveur bio qui participait à la même table ronde et qui m’avait montré avec fierté la photo d’un veau qui venait de naître le matin même dans son élevage, précisa ensuite dans son discours : « Je ne suis pas l’ami de mes bêtes. Je les élève pour les tuer. »
Ce texte est extrait du livre « Plaidoyer pour les animaux. » de Matthieu Ricard, paru en 2014 aux éditions Allary.