Bio : alerte sur les produits d'importation
Malgré leur label, nombre d'aliments en provenance de l'étranger ne sont pas bio en raison de fraudes, et sont même parfois dangereux pour la santé.
En cause : l'absence d'harmonisation des contrôles en Europe, et le flou sur les méthodes de certification de la filière.
Aziz Messai, le représentant dans les pays de l'Est de l'organisme de contrôle spécialisé dans l'agriculture biologique Ecocert, n'en revient toujours pas. L'an dernier, lors d'analyses de routine en Serbie sur des fruits rouges destinés à l'exportation vers l'Union européenne, il s'est rendu compte que ces baies étaient traitées aux pesticides. "Certains exportateurs vendaient plus de produits bio qu'ils n'en produisaient", enrage le contrôleur, qui a dû déclasser 100 tonnes de fruits. Au moins ne se sont-ils pas retrouvés sur les étals européens sous l'étiquette AB, le label certifiant l'agriculture biologique. Contrairement à ces concombres égyptiens, à ces abricots secs turcs, à cette huile d'olive espagnole, à ces pommes ou à ce blé argentins, eux aussi bourrés de pesticides, ou encore à ce riz OGM américain. De quoi s'interroger sur la qualité réelle du bio importé...
La question est tout sauf anodine. Si le contrôle des produits achetés hors de l'Union européenne est strict sur le papier, il est en réalité loin d'être fiable à 100 %, comme le montrent les données inédites que nous publions ci-contre. Au sein même de l'UE, l'existence d'un cahier des charges en apparence unifié ne garantit pas les mêmes caractéristiques "bio" pour les productions d'origine française, espagnole ou roumaine. Le bio en provenance de l'étranger a pourtant envahi nos magasins. En 2009, 38 % des aliments présents sur les rayons biologiques étaient importés, contre 30 % en 2008. La raison ? Le rythme de conversion des fermes françaises à l'agriculture biologique peine à suivre la hausse de la demande, malgré une accélération en 2009 et 2010. Par ailleurs, la grande distribution, qui représente 45 % des ventes, n'hésite pas à aller chercher loin des produits de "contre-saison" (des tomates en hiver, par exemple) et des prix bas. Plusieurs enseignes proposent en ce moment des pommes de terre israéliennes, des oignons égyptiens ou des poires argentines, alors que les récoltes françaises sont abondantes. "C'est aberrant ! Même en pleine saison, nos agriculteurs ne sont pas sûrs de vendre leur production", s'agace Henri de Pazzis, le président de ProNatura, premier grossiste bio français. Et, en dehors des fruits et légumes frais, l'information sur l'origine des produits se limite à une mention "UE" ou "non-UE". "On trouve sous des étiquettes de marques de distributeurs des bocaux de haricots du Kenya ou de tomates de Chine", dénonce Aurore Issouf, responsable de l'approvisionnement à Jardin bio, n° 2 de l'épicerie bio.
Des baies roses de Madagascar aspergées de DDT
La question est tout sauf anodine. Si le contrôle des produits achetés hors de l'Union européenne est strict sur le papier, il est en réalité loin d'être fiable à 100 %, comme le montrent les données inédites que nous publions ci-contre. Au sein même de l'UE, l'existence d'un cahier des charges en apparence unifié ne garantit pas les mêmes caractéristiques "bio" pour les productions d'origine française, espagnole ou roumaine. Le bio en provenance de l'étranger a pourtant envahi nos magasins. En 2009, 38 % des aliments présents sur les rayons biologiques étaient importés, contre 30 % en 2008. La raison ? Le rythme de conversion des fermes françaises à l'agriculture biologique peine à suivre la hausse de la demande, malgré une accélération en 2009 et 2010. Par ailleurs, la grande distribution, qui représente 45 % des ventes, n'hésite pas à aller chercher loin des produits de "contre-saison" (des tomates en hiver, par exemple) et des prix bas. Plusieurs enseignes proposent en ce moment des pommes de terre israéliennes, des oignons égyptiens ou des poires argentines, alors que les récoltes françaises sont abondantes. "C'est aberrant ! Même en pleine saison, nos agriculteurs ne sont pas sûrs de vendre leur production", s'agace Henri de Pazzis, le président de ProNatura, premier grossiste bio français. Et, en dehors des fruits et légumes frais, l'information sur l'origine des produits se limite à une mention "UE" ou "non-UE". "On trouve sous des étiquettes de marques de distributeurs des bocaux de haricots du Kenya ou de tomates de Chine", dénonce Aurore Issouf, responsable de l'approvisionnement à Jardin bio, n° 2 de l'épicerie bio.
Des "organismes certificateurs" agréés par l'UE surveillent pourtant à la loupe ces importations. Ils vérifient sur place le respect de la législation, de la semence jusqu'au produit fini. Sur la base de cet audit, le vendeur demande une autorisation d'importation à un Etat membre, valable un an. "Nous pouvons réclamer toutes les pièces que nous jugeons nécessaires - bulletins d'analyse, rapports d'inspection, etc. -avant de répondre", souligne Catherine Rogy, une des cinq fonctionnaires chargées au ministère de l'Agriculture de traiter les 300 à 350 demandes nouvelles, et autant de renouvellements, adressées chaque année aux autorités françaises.
Pourquoi, dès lors, tant de produits "non conformes" passent-ils entre les mailles du filet ? "Aucun système n'est totalement fiable, se défend Michel Reynaud, responsable des activités internationales d'Ecocert. On ne peut pas être tous les jours derrière tous les opérateurs." Les problèmes sont souvent repérés à l'occasion d'analyses de routine, qui ciblent en priorité les produits à risques : ceux dont le prix en bio est beaucoup plus élevé qu'en conventionnel, ou les denrées venant de pays où les producteurs sont peu épaulés.
En Europe de l'Ouest, en effet, si les agriculteurs ont du mal à respecter le cahier des charges, ils peuvent demander des conseils aux chambres d'agriculture ou aux instituts techniques. C'est moins vrai dans des pays plus pauvres, ce qui peut expliquer le recours à des intrants interdits en bio. La structure agricole des pays joue aussi : là où les parcelles sont très morcelées, le risque de contamination croisée est plus grand. Comme en Chine, où des petits producteurs de thé vert ont été déclassés pour cette raison.
Parfois, il n'existe pas de réglementation locale sur le bio : le contrôle et l'organisation du secteur reposent donc entièrement sur les organismes certificateurs. Certains pays souhaitent d'ailleurs s'adapter : "Le Maroc prépare un projet de loi largement inspiré du cahier des charges européen", relève Mounya el-Aouni, responsable de la filiale d'Ecocert dans le pays.
L'autre problème du contrôle, c'est que l'on ne trouve que ce que l'on cherche. Ainsi, Michel Reynaud avoue ne jamais avoir pensé à rechercher de la mélamine dans le soja chinois. Si cette substance a été découverte dans des lots arrivés en France en 2008, c'est parce que l'acheteur français a mené ses propres analyses. Depuis, Ecocert assure faire analyser la totalité des lots expédiés. "Les fraudes organisées sont aussi plus longues à repérer", soupire Michel Reynaud. Exemple : en mars 2009, une analyse montre que des baies de goji, des fruits asiatiques vendus de 50 à 70 euros le kilo, contiennent des pesticides. Au bout de quelques mois, les différents certificateurs européens finissent par comprendre que des petits malins font passer des fruits conventionnels pour du bio. Mais c'est seulement fin 2009 que la Commission demande le retrait de toutes les autorisations accordées pour ces baies. Encore cette fois-ci les Etats membres ont-ils agi de concert. "Parfois, Bruxelles doit taper du poing pour que tel ou tel Etat agisse", constate un spécialiste. Or la coordination est essentielle : une fois entrée dans l'UE, la marchandise circule librement.
Et les aliments bio en provenance de pays membres de l'Union ? Ils ne sont pas non plus au-dessus de tout soupçon. La Commission dispose des données détaillées sur les infractions les plus graves relevées sur les produits échangés au sein de l'UE, mais refuse de les rendre publiques. Selon nos informations, 38 cas ont été notifiés en 2009 et déjà 51 à la fin de septembre 2010. Auxquels s'ajoute une partie des retraits opérés pour des raisons sanitaires, comme ces épinards ou ces melons italiens chargés de pesticides, ou ces graines de lin OGM roumaines.
Une liste noire d'exploitations établie par les importateurs
Pour en savoir plus sur les "mauvais élèves" de l'Union, il faut donc se fier aux témoignages des importateurs. Accusée n° 1, l'Espagne. Dans les régions de Murcie et d'Almeria, royaume de la culture intensive des fruits et légumes, de nombreux paysans se sont opportunément convertis au bio, sans toujours en respecter les règles. Des importateurs, comme ProNatura, ont même établi une liste noire d'exploitations. "Dans ce pays, le dispositif de contrôle n'est pas au point. Nous avons donc créé nos propres filières", affirme Henri de Pazzis. S'il n'y avait que l'Espagne ! Jean-Charles Cizeron, un fabricant d'aliments bio pour le bétail, a "blacklisté" des fournisseurs italiens et renoncé à acheter des céréales en Roumanie. "En allant sur place, nous avons découvert que la traçabilité était insuffisante", explique-t-il. Aziz Messai, en poste en Roumanie pour Ecocert, confirme : "Pour l'instant, nous ne certifions pas de céréaliers roumains par manque d'informations fiables." Ce qui n'empêche pas ce pays de vendre ses céréales bio à des Italiens, qui les réexportent en Europe : leurs certificateurs semblent moins regardants.
On touche là au grand problème du bio en Europe, l'absence d'harmonisation des politiques de contrôle. Tout le monde n'est pas logé à la même enseigne, à en croire les données publiées par la Commission. En France, chaque opérateur est inspecté en moyenne 1,6 fois par an, plus du tiers de ces visites étant inopinées. Un sur dix voit sa production analysée. D'autres pays sont moins pointilleux : l'Espagne, avec à peine plus d'une visite par opérateur et seulement 17 % de visites impromptues, ou la Roumanie, avec 3 % de visites surprises et seulement 5 % d'opérateurs dont la production est analysée.
Le règlement européen laisse aussi des marges d'interprétation, qui permettent à certains Etats d'en respecter la lettre, mais pas toujours l'esprit. L'Espagne, encore elle, est réputée pour avoir in-venté les fruits et légumes bio "industriels", cultivés sous tunnel et dopés aux engrais organiques. Elie Dunand, consultant en agronomie, l'a constaté : "On y voit des cultures irriguées en goutte-à-goutte, avec des fertilisants fabriqués à partir de tourbe ou des déchets de l'industrie betteravière." Bien loin du compost plébiscité par les pionniers du bio... En Hollande, on n'hésite pas, en plus, à chauffer les serres pour obtenir des fraises et des tomates toute l'année. Un non-sens pour beaucoup d'acteurs de la filière, dont Alain Carini, patron de Naturalia : "Dès novembre, nous ne vendons plus de tomates, et nous pensons étendre cette politique au poivron et à la courgette." Cette décision repose aussi sur un souci de qualité : l'expérience prouve que les fruits et légumes "dopés" perdent une partie de leurs propriétés nutritionnelles. "Les pêchers bio cultivés avec des quantités de fertilisant plus importantes produisent des fruits plus gros, mais moins riches en polyphénols", raconte Stéphane Bellon, responsable de l'agriculture biologique à l'Inra.
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