Le changement climatique menace les sites archéologiques de l'Arctique
Des archéologues ont appelé jeudi 28 juin à agir en urgence pour sauver des milliers de sites historiques situés dans l'Arctique qui "disparaissent rapidement" en raison du changement climatique, deux fois plus prononcé au pôle Nord que sur le reste de la planète.
Le Grand Nord compte quelque 180.000 sites archéologiques - majoritairement dans l'Arctique norvégien (60%), l'Arctique canadien (19%) et en Alaska (20%) - que "le climat froid et humide" de cette région a "préservé de manière extraordinaire" jusqu'à tout récemment, rappellent les auteurs de cette étude internationale publiée jeudi dans la revue scientifique Antiquity, consultée par l'AFP. Or, les bouleversements engendrés par la hausse de la température de la surface de la Terre "détruisent un grand nombre de ces archives culturelles et environnementales de l'Arctique", regrettent ces archéologues originaires du Danemark, de Norvège, du Royaume-Uni, du Canada, des États-Unis et de Russie. Leurs conclusions reposent sur 46 études préalables.
L’érosion et la fonte des sols en cause
La situation est pressante d'autant que "très peu de ces sites ont été fouillés" et pourraient disparaître avant d'avoir livré leurs secrets, notent-ils. Les scientifiques pointent deux menaces en particulier : "l'intensification de la fonte du pergélisol", le sol normalement gelé en permanence qui représente un quart des terres émergées de l'hémisphère nord, et "l'érosion côtière" due à la montée des eaux et à la multiplication des tempêtes.
Ces deux conséquences majeures du changement climatique sont déjà responsables de la disparition de plusieurs villages polaires.
"C'est une catastrophe. Une majorité de sites, dont plusieurs parmi les plus importants, ont déjà disparu !", a déclaré au Globe and Mail Max Friesen, archéologue polaire de l'université de Toronto et l'un des dix co-auteurs de cette étude.
“Pire catastrophe patrimoniale”
Les autres effets néfastes de l'augmentation de la température cités par les archéologues sont le verdissement de l'Arctique (la croissance des végétaux due au réchauffement du sol), les feux de toundra, l'accroissement de l'exploitation de matières premières, l'augmentation du tourisme - notamment avec la multiplication des croisières polaires bénéficiant du recul de la banquise - qui entraîne parfois le vol d'artefacts sur ces sites historiques non surveillés. "C'est la pire catastrophe patrimoniale du monde en ce moment", a même avancé à l'AFP Matthew Betts, conservateur au Musée Canadien d'Histoire qui a organisé le mois dernier un forum avec 30 archéologues et dirigeants amérindiens afin de dégager des solutions d'urgence à cette "crise".
"Cela se passe partout, mais le Canada a le plus long littoral de la planète donc on est en ce moment à l'apogée de la crise", a-t-il ajouté, estimant qu'"il n'y a plus le temps, nous devons tout extraire du sol avant que cela ne soit emporté" par les eaux. L'étude souligne par exemple que trois des quatre sites archéologiques de Drew Point, dans le nord de l'Alaska, "ont disparu" en raison de l'érosion côtière. Et le site restant "est lourdement endommagé".
A un jet de pierre de là, près de la Pointe Barrow où s'affrontent les mers des Tchouktches et de Beaufort et l'océan Arctique, la fonte du pergélisol et la montée des eaux engloutissent "rapidement (...) des terres habitées par les Autochtones d'Alaska semi-sédentaires depuis au moins 4.000 ans". Ce site est crucial pour comprendre le peuplement de l'Arctique canadien et du Groenland, expliquent les chercheurs, notant qu'un cimetière avec 100 dépouilles d'Amérindiens ayant vécu vers l'an 500 a quasiment disparu.
L'équipe d'archéologues polaires appelle donc les pouvoirs publics à dégager des fonds pour la protection de ces sites historiques en péril, car, selon eux, rien n'a été prévu pour le moment. Or, "avec le climat qui continue de changer, la situation va inévitablement encore s'aggraver". Il est d'autant plus urgent d'agir que, selon le conservateur du Musée Canadien d'Histoire, cette "crise" a un double impact pour les communautés autochtones nordiques : en plus de voir disparaître leur patrimoine, elles perdent "les preuves permettant de revendiquer leurs droits sur ces terres".