Delphine Batho : "Il y a un déni de l'ampleur de la crise sanitaire liée aux produits chimiques"
Le lundi 11 mars 2019, un colloque de santé-environnement sur les perturbateurs endocriniens était organisé par La Fondation Léa Nature/ Jardin Bio sous l’égide de la Fondation de France et de l’association Générations Futures. A cette occasion, nous avons rencontré l’ancienne ministre de l’Écologie Delphine Batho.
Ce colloque portait sur les impacts sanitaires et environnementaux des perturbateurs endocriniens, les avancées mais aussi les résistances aux changements et sur les moyens de protéger les générations futures.
Pour rappel, selon la définition établie par l’Organisation mondiale de la santé en 2002, un perturbateur endocrinien (PE) est "une substance exogène ou un mélange qui altère la/les fonction(s) du système endocrinien et, par voie de conséquence, cause un effet délétère sur la santé d’un individu, sa descendance ou des sous-populations". Le système endocrinien est le système qui regroupe les organes libérateurs d’hormones au sein de l’organisme. Les perturbateurs endocriniens peuvent interagir à tous les niveaux de son fonctionnement : lors du développement, de la croissance ou la reproduction. L’exposition à ces substances entraînent des conséquences sur la santé.
Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres et anciennement Ministre de l’Ecologie de juin 2012 à juillet 2013, a présenté son point de vue sur la question au cours d’une table-ronde intitulée : "Perturbateurs endocriniens : quelles avancées ? Quelles résistances aux changements ?"
Comment lutter à notre niveau contre les perturbateurs endocriniens ?
Delphine Batho est formelle. Pour elle, il faut "manger bio, enlever tous les produits qui contiennent ces substances, choisir des cosmétiques bio et ne pas oublier d’aérer son intérieur régulièrement". En effet, on retrouve des perturbateurs endocriniens partout dans les tapis, les colles, les meubles, il est donc très important d’aérer sa maison, même si l’air de dehors est pollué, car cela permet d’éviter que les molécules ne se concentrent dans l’air intérieur.
Des PE responsables de diverses maladies
"Je suis à l’écoute des citoyens et des travaux scientifiques qui peuvent être menés sur la question. Par exemple, l’hypominéralisation des molaires et incisives (MIH), qui touche 14 à 18 % des enfants entre 6 et 9 ans, je l’ai appris suite au témoignage de parents". Dans ce cas, Delphine Batho estime que le rôle des facteurs environnementaux n’est pas négligeable. Elle prend également l’exemple de l’endométriose. "Une femme sur dix qui est atteinte par cette maladie". Selon elle, les perturbateurs endocriniens seraient impliqués dans le développement de ces maladies.
“Il y a un déni de l’ampleur de la crise sanitaire de l’ensemble des produits chimiques et des perturbateurs endocriniens”, ajoute-t-elle.
Une évaluation trop obsolète
"Un problème à l’oeuvre c’est qu’un produit dangereux peut être autorisé. En effet, ce sont les pouvoirs publics qui peuvent autoriser un produit dangereux comme le glyphosate et c’est à l’utilisateur d’en mettre moins". Inacceptable pour elle, c’est au fabricant que cette responsabilité incombe.
De plus, "l’évaluation des perturbateurs endocriniens se fait au cas par cas alors qu’il a été démontré que les perturbateurs endocriniens étaient responsables d’un 'effet cocktail' ."(c’est-à-dire que des différentes molécules peuvent interagir entre elles). L’évaluation au cas par cas est très lente et obsolète face à ce constat, souligne Delphine Batho.
Des lois faciles à passer et d’autres beaucoup moins !
Delphine Batho est à l’origine de la loi sur l’interdiction sur les néonicotinoïdes, des insecticides très toxiques et tueurs d’abeilles, votée en 2016 et entrée en vigueur en 2018. Selon la députée, "faire voter cette loi n’a pas été dur" si ce n’est "les cinq lectures parlementaires nécessaires pour faire passer la loi et des lobbies très motivés. Mais les lobbies n’ont même pas osé me contacter", dit-elle en souriant.
"On a aussi fait témoigner les députés devant leurs collègues" afin de s’assurer qu’ils n’allaient pas changer leur vote. Elle ajoute : "On a été aidé par la société civile grâce à la signature d’une pétition par 700 000 citoyens contre les néonicotinoïdes. On a lu toutes les études sur le sujet, on était incollable. Cela a été une bataille collective et c’est ce qui a fait notre force je pense”.
Espérons que ce schéma se reproduise pour les pesticides tels que le glyphosate ou pour les perturbateurs endocriniens les plus décriés afin de préserver la santé du plus grand nombre. Notons d’ailleurs qu’une récente étude vient de démontrer l’effet de perturbation endocrinienne générée par des herbicides contenant du glyphosate. Alors même que le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé en janvier dernier qu’on "n’arrivera pas à sortir" du glyphosate à 100% sous trois ans.
Crédit photo : © JOEL SAGET - AFP/Archives