Le bio est-il rentable pour les agriculteurs ?

Par Bioalaune publié le
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  D.R. L'agriculture biologique produit environ 35% moins de rendements que l'agriculture conventionnelle.

Comment les agriculteurs vivent-ils l'utilisation des pesticides? Le témoignage de deux d'entre eux, issus de générations différentes, rencontrés au Salon de l'Agriculture 2010.
 

Christophe Canal, président du syndicat des "Jeunes agriculteurs" en Midi-Pyrénnées, explique la difficulté de concilier rentabilité et agriculture "verte".
 

Utilisez-vous beaucoup de produits chimiques dans votre métier?
 

Nous en utilisons dans des quantités strictement contrôlées. Les herbicides, les insecticides, les fongicides font partie de notre quotidien. Mais notre génération est quand même beaucoup plus à cheval sur les précautions à prendre avant de les utiliser. Les "anciens" ne faisaient pas vraiment attention: lorsqu'ils manipulaient des produits chimiques, ils les pulvérisaient sans protection. Aujourd'hui on porte des masques, des gants... Ce n'est pas par plaisir mais il faut bien traiter nos cultures pour pouvoir produire et vendre!

Certains se mettent au bio, il est donc possible d'éviter l'utilisation de pesticides...
 

Pour que ça marche, il faudrait que les hypermarchés aussi nous achètent du bio
 

Certains agriculteurs font sans mais si on se met tous au bio, la profession ne se suffira plus à elle-même. Au-delà des aides à la reconversion accordées par l'Etat, le vrai problème reste celui de la rémunération. Pour que ça marche, il faudrait que les hypermarchés aussi nous achètent du bio. Et comme on le sait, le bio coûte cher et surtout, il produit un rendement plus faible que l'agriculture conventionnelle.
 

Craignez-vous que l'utilisation des pesticides aie des conséquences sur votre santé ?


Cela fait partie de mon métier mais j'avoue qu'une crainte subsiste. Après tout, je me dis que s'il y a autant de précautions à prendre ce n'est pas pour rien...
 

Jean Gobier, agriculteur retraité dans l'Yonne raconte sa conversion au bio après des années d'agriculture conventionnelle.

Comment s'est opéré votre passage vers l'agriculture bio ?
 

J'ai travaillé 35 ans avec les pesticides. Puis dix ans avant ma retraite, j'ai franchi le cap et je suis passé au bio. Mais le changement ne s'est pas fait d'un claquement de doigts! Ca a été le fruit d'une longue réflexion. Je me suis beaucoup renseigné et j'ai compris qu'il était possible de produire autrement sans forcément trop y perdre.

Comment décririez-vous l'avant et l'après ?
 

On ne s'aperçoit pas des conséquences de l'utilisation des pesticides quand on est dedans. Mais lorsqu'on arrête d'utiliser des produits chimiques, on se met à sentir les produits utilisés par nos voisins agriculteurs! L'odeur des produits vous prend littéralement au nez et on comprend à quel point on pouvait être intoxiqué.
 

Lorsque vous utilisiez ces produits, êtes-vous déjà tombé malade ?
 

Je n'ai pas développé de pathologie grave mais je me souviens que lorsque j'utilisais les produits destinés à l'enrobage des semences, j'avais systématiquement des maux de tête et des nausées. Au travers d'une étude, j'ai aussi appris qu"un produit utilisé comme régulateur de croissance pour le blé agissait directement sur les cellules humaines, ça m'a refroidi. Enfin, quelques temps après être passé au bio, je me suis aperçu que l'herbe de mes champs, mitoyens avec des champs de colza, était brûlée à cause d'un pesticide utilisé par un agriculteur voisin. De même, les porcs que j'élevais et qui se trouvaient à proximité de ces champs ont aussi développé des tâches purulentes sur le corps...

Pour traiter un simple épi de blé, il faut environ 30 molécules différentes !
 

Comment a été perçue votre reconversion dans le milieu agricole ?
 

Mes voisins et mes amis agriculteurs ont d'abord été surpris, presque choqués. Vous savez c'est un milieu très fermé dans lequel on ne parle pas de la toxicité des produits qu'on utilise. Ca fait partie du travail, c'est ressenti comme une fatalité. Mon frère est arboriculteur et a aujourd'hui beaucoup de problèmes respiratoires et digestifs. Pourtant, il ne veut pas entendre parler de la nocivité de ces produits. D'ailleurs, aujourd'hui, peu d'études attestent d'un lien direct entre les cancers et l'utilisation des pesticides. Il faut dire que sur un simple épi de blé, on utilise pas moins de 30 molécules différentes par le biais du traitement apporté. Alors, pour analyser tout ça...

Selon vous, que faudrait-il faire pour favoriser le passage d'une agriculture conventionnelle à une agriculture plus verte ?
 

Je pense qu'il faut mettre l'accent sur l'éducation. Il faut garder à l'esprit que les agriculteurs de demain sont ceux qui étudient aujourd'hui... Dans les lycées agricoles, on apprend encore aux jeunes qu'il n'y a qu'une sorte d'agriculture rentable. Or, c'est faux. Ma nièce produit du lait de vache bio et gagne correctement sa vie. Les aides financières, les campagnes d'information, les formations proposées sont également très importantes pour changer les mentalités mais elles ne suffisent pas.

 

lexpress.fr - Par Elodie Bousquet, publié le 05/03/2010