Aliments bio : les allégations de 60 millions de consommateurs sont-elles avérées ?
Pommes, bananes, laits, viande ou poisson… 130 références bio de 14 catégories alimentaires ont été passées au crible par 60 millions de consommateurs. Malgré les titres alarmants, le constat est rassurant : si le bio serait “loin d’être sans faille”, attention à ne pas mettre tous les produits dans le même panier.
Dans son hors-série de juillet-août "Le meilleur du bio", paru mercredi 5 juin, une nouvelle enquête de 60 millions de consommateurs fait le point sur les produits certifiés AB. Le journal alerte sur les "montagnes de promesses" de ce secteur en plein essor. Mais si l’on regarde ces allégations d’un peu plus près, le bio aurait au contraire de quoi séduire les lecteurs du magazine.
Reconnaître “le meilleur du bio”
"Les produits issus de l’agriculture biologique se valent-ils ?", s’interroge 60 millions.
Fruits et légumes, laits, yaourts, jus de fruits, pâtes à tartiner, mais aussi viande et céréales… au total, les experts ont passé au peigne fin la composition de plus de 130 références de ces produits de grande consommation. S’ils déplorent que certains produits bio analysés sont "loin d’être sans faille", à l’inverse, d’autres références auraient tout pour plaire. Le magazine met également l’accent sur les dérives du bio pas cher, qui s’avère parfois moins vertueux.
Selon un rapport de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), les traces de pesticides concernent moins de 4 % des fruits et légumes issus de l’agriculture biologique, ces taux étant inférieurs aux limites maximales autorisées. L’équipe de 60 millions a donc épluché la composition du fruit le plus consommé en France : la pomme. Résultat : les six références de pommes bio analysées "respectent leurs engagements", affirme le magazine. Contrairement aux pommes cultivées dans l’agriculture conventionnelle -qui contiennent des molécules de synthèse considérées comme cancérogènes probables- les pommes bio examinées ne renferment aucun résidu de pesticides. "Ni fraude ni mauvaise surprise", rassure 60 millions.
©60 millions de consommateurs/Hors-série juillet-août 2019
Les tests ont révélé que certaines références d’oeufs bio, notamment de la marque Mâtines, seraient contaminées par des polluants. Quelques huiles d’olive bio analysées renfermeraient également des phtalates, des "substances reconnues comme perturbateurs endocriniens et potentiellement hépatotoxiques". Quant aux biscuits et gâteaux bio testés, ils seraient "très souvent aussi gras et sucrés", regrette le journal. Si les pâtes à tartiner au logo vert ne sont pas dépourvues d’huile de palme, elles affichent cependant un meilleur résultat qualitatif et nutritionnel que leurs homologues conventionnels. Sans oublier qu’une pâte à tartiner "bio ou non, c’est avant tout du gras et du sucre", rappelle le magazine.
Si les experts n’ont découvert aucune substance prohibée dans les bananes bio inspectées, des résidus de pesticides, en quantités infinitésimales, ont été relevés dans deux variétés de bananes conventionnelles commercialisées chez E.leclerc et Cora. Heureusement, le magazine n’a souligné aucune trace de chlordécone dans les bananes bio de Guadeloupe, un pesticide souvent présent dans les cultures des zones contaminées.
Bio synonyme de bon ? Quand 60 millions cultive le doute
Dès les premières pages, le magazine de consommateurs s’interroge sur l’impact de l’alimentation bio sur notre santé. "Alors, manger bio a-t-il vraiment un impact sur notre santé ? Sur celle des agriculteurs sans aucun doute. Sur celle des consommateurs, c’est beaucoup moins sûr", suggère le journal. A l’appui, des études livrées au compte-gouttes qui se contredisent les unes les autres. Les arguments du magazine se fondent, en premier lieu, sur une étude danoise publiée en 2017 dans le journal scientifique Environmental Health et qui rapporte que "les liens entre alimentation bio et santé sont insuffisamment documentés par les études
épidémiologiques". Quelques lignes plus tard, 60 millions de consommateurs évoque "moins de dangers avec les produits bio" et les "bienfaits bien identifiés" de l’alimentation biologique. Pour ce faire, le mensuel cite une recherche menée en 2017 par le Dr Denis Lairon, docteur en biochimie et expert en nutrition humaine, qui avait révélé qu’une consommation quotidienne de produits bio diminuait de 31 % l’obésité et de 23 % le risque de surpoids. Une autre étude de l’Inra et de l’Inserm, qui confirme les bienfaits de l’alimentation bio, est également mentionnée. 60 millions de consommateurs conclut en vantant les louanges des végétaux bio, "à la valeur nutritionnelle plus élevée que ceux de l’agriculture conventionnelle".
"Des montagnes de promesses", "une filière en eaux troubles" ou encore le bio "loin d’être sans faille"... autant de formules racoleuses qui laissent le lecteur sur sa faim.
Malgré ses titres en demi-teinte, le magazine de consommateurs ne manque pas de plébisciter l’agriculture biologique. Pour nourrir ses enfants, "si l’on cuisine soi-même purées et compotes, mieux vaut privilégier le bio", recommande-t-il.
Dans une interview au journal L’Express, Christelle Pangrazzi, la rédactrice en chef adjointe de 60 millions de consommateurs, affirme que "le but du numéro n'est pas de dénigrer le bio, au contraire."
"Il existe des choses qui marchent : par exemple, les pommes et les oeufs bio ne sont absolument pas contaminés en pesticides", nuance-t-elle dans les colonnes de l’Express.
Quelques progrès à faire...
L’agriculture biologique étant jeune, elle a encore des progrès à faire, en particulier concernant les produits vendus en grandes surfaces.
Avec une croissance de 147 % entre 2006 et 2015, la production de lait biologique ne cesse de s’imposer en France. Néanmoins, des traces de polluants ont été retrouvées dans certaines références de lait bio. Certes en faible quantité, la présence de ces substances décriées soulève la question de la distance entre un champ bio et une installation polluante. Cet espace n’est pourtant pas exigé dans la charte bio européenne même si cette dernière exige une limite de 10 mètres entre cultures bio et conventionnelle afin d’empêcher toute propagation de pesticides ou d’OGM.
Si certains aliments bio sont "loin d’être sans faille", le tout est de bien choisir ses produits. Plats cuisinés, chips, biscuits… même bio, ces aliments sont à consommer avec modération. Pour s’inscrire dans une démarche éthique et éco-responsable, les aliments suremballés avec du plastique sont également à proscrire.
… pour certains acteurs de la filière
Tandis que les pommes bio examinées font l’unanimité, le magazine pointe du doigt les fruits et légumes vendus sous plastique, regrettant un manque d’éthique environnementale. Mais cette dérive est observée essentiellement dans les grandes surfaces : "ce n’est pas le cas lorsqu’ils sont vendus en vrac au marché, en magasins spécialisés ou directement chez les producteurs", argue 60 millions.
Utilisation de l’huile de palme ou exploitation de travailleurs étrangers dans les récoltes, le mensuel, édité par l'Institut national de la consommation (INC), dénonce de nombreuses dérives de l’exploitation intensive qui s’implantent parfois dans l’agriculture biologique. Mais les acteurs de la filière sont loin de cautionner ces erreurs.
"Manger des fraises en hiver ou des avocats tous les jours n’a aucun sens écologique, même s’ils sont bio !", s’insurge le magazine, dénonçant ainsi l’impact carbone négatif des fruits bio hors saison. Cependant, de nombreux acteurs du secteur bio dénoncent ces agissements. Dans un communiqué publié ce mercredi, la FNAB (Fédération Nationale d'Agriculture Biologique de France) a lancé une mobilisation contre les fruits et légumes bio hors saison. Avec plus de 40 000 signataires, la pétition "Pas de tomates bio en hiver" réclame un encadrement strict du chauffage pour les serres bio, à l’heure où le marché de la tomate conventionnelle est en crise et que des centaines de tonnes de marchandises sont détruites chaque semaine.
Plus de 5 % des achats alimentaires des ménages français sont bio
En une vingtaine d’années, le bio s’est imposé dans nos assiettes. Plus qu’un phénomène de mode ou un argument marketing, le bio est de plus en plus prisé par les consommateurs. Selon le dernier rapport de l’ONG Générations futures, publié jeudi 6 juin, plus de 71 % de fruits et 43 % de légumes non bio consommés en France contiennent des résidus de pesticides.
Alors que les exploitations agricoles converties au bio prolifèrent, la confiance des consommateurs dans le label AB s’intensifie. "A l'heure où les scandales alimentaires s'enchaînent, le logo fait figure de Graal", souligne Christelle Pangrazzi, rédactrice adjointe du magazine.
Avec près de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le bio représente plus de 5 % des achats alimentaires des Français, selon les chiffres publiés ce mardi par l’Agence Bio. Dans son rapport, l’organisation française a également souligné le poids grandissant de la grande distribution, qui propose désormais la moitié des produits bio qui existent sur le marché. Avec 2 millions d’hectares cultivés selon des principes respectueux de l’environnement, 9,5 % des fermes françaises sont certifiées bio.