Découvrez les médecins de la terre qui aident les agriculteurs à produire bio
Claude Bourguignon est un ingénieur agronome ayant fondé, avec sa femme, le seul laboratoire qui étudie le sol au niveau physique, chimique et biologique dans le but de conseiller les agriculteurs.
Partout où l'homme cultive la terre de manière intensive, on constate une dégradation à la fois de la biomasse et de l’humus, et une perte de la productivité des sols. Comment en est-on arrivé là ?
Claude et Lydia Bourguignon : C’est l’industrialisation de l’agriculture après la guerre qui est à l’origine d’une partie importante des problèmes actuels, et qui a détruit de manière exponentielle les sols. Les paysans, comme on les connaissait jadis, ont gardé le même rythme d’activité pendant plusieurs millénaires. Puis, en un siècle, l’agriculture industrielle a détruit les sols.
Cette situation est dûe à l’épandage de produits chimiques et au labour profond. Depuis la mise en place de ces techniques, on a perdu la moitié de notre matière organique dans les sols. Cette matière s’étant dispersée dans l’atmosphère sous forme de gaz carbonique. L’agriculture chimique participe à 40% du réchauffement planétaire.
Il faut arrêter le labour et remettre du fumier dans les terres. Le problème est difficile à résoudre, car on a créé une situation très complexe. En France, on a séparé l’élevage de l’agriculture et faire du fumier s’avère compliqué. Tous les élevages sont concentrés aux mêmes endroits, les bêtes ne sont plus sur litière, elles sont sur lisier (ndlr : qui ne contient pas de paille) et ce lisier ne fait pas d’humus. Autrefois, on avait une agriculture qui était une polyculture élevage. Chaque agriculteur prenait sa paille pour confectionner du fumier et le retourner dans sa terre. Maintenant c’est fini, il n’y a plus de fumier. Un agriculteur qui doit s’occuper de centaines d’hectares a la tête dans le guidon, il ne peut pas faire cette transition. Elle ne peut être réalisée que dans des fermes à taille humaine.
Pour retrouver un sol vivant et productif, il faut rétablir l’équilibre agro sylvo pastoral, dans lequel la haie retrouve sa place dans les champs pour apporter de la matière organique et faire des rotations d’élevage, de culture et de mise en jachère. L’équilibre agro sylvo pastoral, c’est le retour de l’arbre dans l’agriculture. C’est pas une invention, ça a plusieurs milliers d’années d’existence.
Différentes techniques existent pour régénérer la terre. Le "simple" fait d’arrêter d’utiliser des pesticides est-il suffisant ? L’agriculture bio améliore-t-elle suffisamment les sols pour rétablir l’équilibre d’un sol ?
Ne pas mettre de matières chimiques dans un sol change énormément de choses. Dans l’agriculture chimique ont fait disparaître la biomasse. Si le sol n’est plus vivant, il ne peut pas fonctionner. Le fait d’arrêter de déposer des produits chimiques permet de garder la matière organique et donc la vie. Les engrais chimiques brûlent cette matière, épuisent les sols. Ajouter du compost revient à ajouter de la matière organique au sol, car on apporte de la nourriture à la faune, en particulier aux vers de terre qui mélangent cette matière organique à la matière minérale pour créer les complexes organo minéraux. Cela permet au mécanisme de la nature de fonctionner.
Bio à la Une : Le label bio est-il déterminant dans votre quotidien lorsque vous effectuez vos achats ? Est-ce acceptable, selon vous, de payer un peu plus pour des produits non-toxiques ?
Oui aux produits bio. Il faut arrêter de faire croire aux consommateurs que la nourriture saine n’est pas chère. Le consommateur doit accepter de payer un certain prix pour valoriser ce travail supplémentaire effectué par les agriculteurs biologiques. Cependant, lorsque vous voyez des produits bio qui viennent de l’autre bout de la planète, ne peut-on pas privilégier un maraîcher ou un éleveur à côté de chez vous sans qu’il soit forcément en bio dans un contexte de proximité ? C’est-à-dire une personne qui va faire des fruits et des légumes et avec qui vous allez pouvoir discuter.
Le rôle des agriculteurs est de produire de la nourriture dans le but d’alimenter les Hommes. Le système industriel actuel est-il viable pour nourrir le monde et les 7 milliards d’individus qui vivent sur terre ?
L’agriculture productiviste ne nourrit pas. Jamais autant d’Hommes n’ont souffert de la famine qu’en ce moment. Il y a un milliard d’Hommes qui crèvent de faim. Depuis qu’elle est passée en agriculture industrielle avec la révolution verte, l’Europe est la première importatrice d’aliments, alors qu’avant elle était autosuffisance. On produit de tellement mauvaise qualité que notre nourriture se retrouve à la poubelle. 40% des productions sont jetées, soit par ceux qui produisent, soit pas ceux qui consomment. Produire plus pour jeter plus ne veut rien dire et si l’Europe savait se nourrir, elle n’aurait pas besoin d’aller piller les terres du Brésil et d’Argentine pour produire du soja. Avec les déchets jetés, nous arriverions à nous nourrir.
L’agriculture détruit les sols depuis qu’elle a été inventée sous la révolution néolithique. 2 milliards d'hectares sont devenus des déserts depuis que l’Homme cultive la terre. Aujourd’hui, nous cultivons sur 1,5 milliards d'hectares. Aurions-nous dû rester de simples chasseurs-cueilleurs pour préserver la planète ? Peut-on cultiver la terre tout en la respectant ?
Une société de consommation recherche des profits. L’agriculture en elle-même n’est pas mauvaise pour la planète. Le fond du problème vient du choix des techniques qui rapportent très vite de l’argent pour produire de la nourriture. On est passé à l’élevage industriel, car il rapporte énormément d’argent. Avant les bêtes broutaient tranquillement dans les prairies, il n’y avait pas d’argent qui tournait. Il faut comprendre que les choix modernes de l’agriculture sont des choix qui doivent rapporter, tout comme les choix industriels de faire de l’obsolescence programmée. Produire pour que ça rapporte. Le profit avant tout. Voilà le problème.
Qu’est-ce qui vous révolte le plus actuellement ? La société de consommation est-elle idéalement organisée pour rétablir la situation ?
On peut consommer sans gaspiller. Lorsqu’on mange, on consomme. Lorsqu’on jette à la poubelle, on gaspille. Nous sommes bien pires qu’une société de consommation, nous sommes une société de gaspillage. L’idéal serait de vivre dans une société de consommation intelligente.
Quand autrefois, on faisait des meubles, ils duraient plusieurs siècles et on les consommait bien. Même aujourd’hui, on peut très bien acheter une table est la garder toute sa vie, pas besoin d’en acheter une tous les 10 ans, or on nous vend des objets à obsolescence programmée qui terminent très rapidement à la poubelle. Alimenter le système en consommant n’est pas viable, surtout lorsqu’on sait qu’il y a 5 millions de chômeurs en France, chiffre qui ne cesse d’augmenter alors qu’on gaspille toujours plus. Cela montre bien que ça ne marche pas. Depuis 70 ans, c’est-à-dire les débuts de la société de consommation, il n’y a jamais eu autant de chômeurs.
Donc il y avait moins de chômage avant...
Il y a ce paradoxe : pour faire l’agriculture de qualité que nous recherchons, il faut remettre les hommes à la terre. Or depuis les années 50, la France a perdu 90% de ses agriculteurs.
Les gens ne veulent plus aller à la terre, personne ne veut être agriculteur, c’est un métier qui est complètement dévalorisé. Ce métier est passé du statut de paysan à celui d’exploitant agricole, celui qui exploite la terre sans l’aimer ni la comprendre. On peut penser à tort qu’il ne faut pas faire d’étude pour être agriculteur. C’est faux. C’est un métier complexe.
Il faut arrêter de mettre dans la tête des gens que l’agriculture est la même pour tous. Certains gros céréaliers gagnent très bien leur vie quand 80% des agriculteurs gagnent à peine le SMIC. Le métier d’agriculteur se doit d’être revalorisé.
Il existe de nombreuses solutions alternatives pour les agriculteurs : replanter les haies, appliquer la technique du semi direct sous couvert grâce au bois raméal fragmenté, respecter l’équilibre agro sylvo pastoral, etc. Ces solutions concrètes, mais très techniques, sont-elles facilement applicables ?
Avant toute chose, il faut savoir que le métier d’agriculteur est le plus complexe du monde, or on leur donne une simple formation de technicien ce qui ne leur permet pas d’affronter la complexité du milieu dans lequel ils travaillent.
Notre travail quotidien est d’analyser les terres et de trouver des solutions alternatives au modèle actuellement répandu. Nous conseillons les agriculteurs pour une pratique respectueuse des sols. On leur apprend à travailler différemment la terre et arrêter les engrais chimiques. Pour que leurs mentalités évoluent, on commence souvent par leur montrer la mauvaise qualité de leur sol. Il faut qu’ils prennent conscience de l’impact que peuvent avoir certaines méthodes que nous critiquons.
Nous recommandons des solutions d’urgences. Ces techniques demandent une formation complète que la plupart des agriculteurs n’ont pas reçue en lycée agricole. Si on faisait l’effort de les éduquer correctement il n’y aurait aucun problème. Par exemple, la technique du semi direct sous couvert fonctionne très bien, il suffit que l’agriculteur soit bon en plus de comprendre le mécanisme, qui lui, est complexe. Les techniques que nous communiquons sont plus simples dans la pratique, requièrent moins de temps de travail à l’hectare, mais demandent de la réflexion, une connaissance des intercalaires, et nécessite une formation scientifique qu’ils n’ont pas.
Pour être un bon agriculteur, il faut être bon en géologie, pédologie, botanique, zoologie, climatologie. C’est un métier extrêmement complexe, l’un des plus durs du monde.
L’un des plus importants problèmes actuels est l’industrialisation des terres dans les pays en développement, qui va amener un manque de matière organique dans les sols. Vous vous rendez régulièrement à l'étranger. Comment agissez-vous pour que les agriculteurs de ces pays ne commettent pas nos propres erreurs ?
L’occident a fait des erreurs que le reste du monde va reproduire. L’expérience est intransmissible chez l’Homme et tous les êtres humains sont les mêmes. Les sociétés en cours de développement industriel sont fascinées par la société de gaspillage. En 1978, afin que son pays prospère, le président de la Côté d’Ivoire rêvait que son pays soit pollué.
Vous êtes très critique lorsqu’on regarde vos vidéos. Pensez-vous que c’est la meilleure stratégie pour convaincre et faire changer les mentalités ? Êtes-vous optimiste face à l’avenir ?
La planète n’est pas exploitée, elle est pillée. La civilisation n’existe plus, nous sommes en barbarie. C’est quelque chose qu’il faut comprendre et que beaucoup de gens ont du mal à saisir. Le massacre de la guerre de 14 n’est pas digne d’une civilisation, la shoah de 45 n’est pas non plus digne d’une civilisation, ce sont des actes barbares. On fait la même chose aujourd’hui avec la planète et le monde animal sans que personne ne s’en plaigne vraiment. Ça bouge, heureusement, mais ça bouge trop lentement. Les dégradations vont plus vite que les réparations.