Permaculture : “Ceux qui sont prêts, n’attendez pas !”
À force d’industrialisation, la vie moderne est devenue de moins en moins cohérente. Xavier Mathias est maraîcher bio en permaculture, enseignant au potager du roi à Versailles, membre actif à l’association Ferme d’Avenir, auteur de nombreux ouvrages. Selon lui, le monde marche sur la tête. Il nous explique pourquoi.
Agriculture, production et consommation d’énergie, notion du bonheur et du progrès, essor du véganisme, du scientisme… Plus rien ne tourne rond. Même si elle n’a pas les réponses, la permaculture expérimente un nouveau style de vie, une transition vers un monde plus sain.
Le livre de Xavier Mathias ne parle pas de techniques et c’est une très bonne chose. L’auteur met la lumière sur la permaculture comme une pratique récente qui n’est, en soi, pas une révolution agronomique, mais le rassemblement de connaissances diverses pour organiser un territoire, produire sans détruire, cultiver sans exploiter.
Bio à la Une : Dans votre livre, vous inventez un mot qui en dit long : “achésiens”. Qu’est-ce qu’un “achésiens” selon vous et en quoi est-il révélateur d’un mal-être général ?
Xavier Mathias : Le terme “Achésiens” caractérise les gens qui vivent hors-sol [HS > HSiens, ndlr]. On prend ça comme un état normal alors que c’est un drame. En vivant hors sol, loin de cette terre nourricière, on se coupe d’une part de notre humanité qui dépend de notre état naturel. C’est un paradoxe. Le fait que nous soyons une espèce animale du genre homo doit nous rappeler en permanence que nous appartenons à la nature. Lorsqu’on va vouloir s’en couper, s’affranchir de cette nature, la cacher même parfois, la percevoir comme un adversaire, on perd notre humanité, une dimension qu’on rejette. Perdre cette humanité nous fait considérer la terre comme une réserve de ressources.
“On prend ça comme un état normal de vivre hors sol alors que c’est un drame.”
Bio à la Une : Dans votre livre, vous inventez un mot qui en dit long : “achésiens”. Qu’est-ce qu’un “achésiens” selon vous et en quoi est-il révélateur d’un mal-être général ?
Xavier Mathias : Le terme “Achésiens” caractérise les gens qui vivent hors-sol [HS > HSiens, ndlr]. On prend ça comme un état normal alors que c’est un drame. En vivant hors sol, loin de cette terre nourricière, on se coupe d’une part de notre humanité qui dépend de notre état naturel. C’est un paradoxe. Le fait que nous soyons une espèce animale du genre homo doit nous rappeler en permanence que nous appartenons à la nature. Lorsqu’on va vouloir s’en couper, s’affranchir de cette nature, la cacher même parfois, la percevoir comme un adversaire, on perd notre humanité, une dimension qu’on rejette. Perdre cette humanité nous fait considérer la terre comme une réserve de ressources.
Vous parlez de beaucoup d’incohérences dans la vie moderne, qu’elle est celle qui vous insupporte le plus ?
Vivre hors sol m’insupporte, mais la plus grande des incohérences de notre société occidentale est le manque de spiritualité. On n’a plus de rapport au sacré. J’aime beaucoup cette idée de croire qu’on ne peut pas considérer notre planète comme un lieu à exploiter, ce n’est pas possible. Je suis officiellement exploitant agricole. C’est de la folie d’entendre ça. Comment se fait-il, au passage, que les agriculteurs qui sont d’anciens paysans aient accepté ce terme ? C’est invraisemblable.
D’une manière générale, l'absence de spiritualité crée un vide qui a été comblé avec le consumérisme et le scientisme. L’être humain a plusieurs dimensions et il ne peut pas en avoir perdu une sans que cela crée en lui un manque. Un manque qu’il remplace par la consommation sans but et la croyance en la science. Croire en la science toute puissante est totalement nouveau. Une science qui nous a promis, il y a 30 ans, que les voitures voleraient et que les déchets nucléaires ne seraient plus un problème. Aujourd’hui cette même science nous dit : “ne vous inquiétez surtout pas pour le glyphosate, on va vous trouver un produit de substitution”. Forcément plus personne n’y croit, alors on consomme pour oublier. On consomme du voyage, du loisir, de l’information… en continuant à percevoir le bonheur comme une accumulation.
C’est alors qu’apparaît la permaculture ! Qu’apporte-t-elle concrètement ? Y a-t-il une définition officielle qui exclut les préjugés ?
La permaculture est une pensée éthique et pratique qui vise à la suffisance dans le respect de la terre et des hommes. C’est aussi une pratique agricole qui se relie à son passé, sans être passéiste. En opposition, l’agriculture contemporaine est coupée de son histoire, elle a fait fi de son passé. Mon papi Jacques, qui a 72 ans maintenant, ne peut pas aider dans une ferme céréalière moderne. Il ne sait pas utiliser ces machines, car il n’a plus de liens avec son passé paysan.
“L’énergie humaine est la première des énergies renouvelables.”
La permaculture, avec sa dimension humaine, avec son utilisation raisonnable des énergies, comme l’énergie humaine qui est la première des énergies renouvelables, nous permet de nous relier à nos passés. Concrètement, mon papi Jacques ne peut rien faire dans un monstre de 360 chevaux pilotés par GPS, autant quand il me voit pousser ma houe maraîchère ou prendre un farcloire, il peut me montrer comment on l’affute correctement. À ce sens là on est relié et il trouve son rôle de vieux. Je ne jette pas la pierre, mais je ne pense pas que c’était une bonne idée de se couper de son passé.
Pourquoi et comment la permaculture pourra-t-elle résoudre les problèmes engendrés par l’industrialisation de la société ?
Elle ne pourra pas, mais elle va faire partie de la solution. Aucun doute pour moi, la permaculture est un des chemins. C’est pour ça que je l’aime à ce point, même si je reste bien conscient qu’elle ne suffira pas. 150 ans de dérive ne seront pas rattrapés en 5 ans avec une méthode unique. Durant plus d’un siècle, on a mis des moyens énormes, économiques, humains, etc, pour aller dans un sens dont on s'aperçoit aujourd’hui que ce n’était pas le bon.
Pour remettre le curseur en place, pour redevenir plus raisonnable, il va y avoir besoin de la permaculture et de tout ce qui va naître autour. Par exemple, on peut avoir un bel espoir dans l’ouverture face à l'afflux de population qu’on appelle les migrants, alors qu’ils sont en réalité des réfugiés. On a beaucoup à apprendre d’eux. Ils ont mille choses à nous apprendre par leur passé ancien et proche. C’est une vision permacole : le problème contient toujours la solution. J’aimerais vraiment qu’on change notre regard pour ensuite changer de méthode.
Estimez-vous que l’agriculture biologique va assez loin ?
La permaculture serait l’évolution naturelle de l’agriculture bio. C’est rigolo pour moi d’avoir rencontré les pionniers du bio, des gens admirables. Pour dire non dans les années 60, il fallait du cran. Vraiment ! Personne ne misait un copec sur eux… et merde, ça marche ! Ces types-là inventent un truc génial. Non seulement ça marche, mais dans les années 1990-2000 ça cartonne et ça continue. Le bio devient alors insupportable pour la grande distribution et l’agroalimentaire. Effectivement ils ont tout fait, avec le cahier des charges qui va avec. Les pionniers du bio ont contribuaient de façon non violente à son succès qu’on lui connaît aujourd’hui. Les problèmes ne sont arrivés qu’après.
Avant les problèmes de transport n’existaient pas. À l’époque, une orange c’était un cadeau de Noël. Dans les années 60, on n’imaginait pas que le bio pouvait venir de très très loin. Il n’y avait pas ces esclaves marocains dans les fermes espagnoles pour du bio toujours moins cher. La dimension sociale était différente, car de telles situations n’existaient pas. Sans parler des zones d’ombre liées aux législations, aujourd’hui on trouve du bio qui vient de très loin, mais qui reste mieux que du conventionnel qui vient de très loin, ça ne fait aucun doute.
“Je vois vraiment l’agriculture biologique comme une vieille dame. Il ne faut pas se moquer d’elle, mais il ne faut pas l’habiller comme une gamine.”
L’agriculture biologique, je la vois vraiment comme une vieille dame. Il ne faut pas se moquer d’elle, mais il ne faut pas l’habiller comme une gamine. C’est ridicule. Par contre, par rapport aux nombreuses critiques qu’on entend, parfois fondées, j’ai envie de répondre “mais nous, qu’est-ce qu’on a inventé ?”. Quand tu t’inspires de la permaculture, tu es en bio. Après en mettant en avant les énergies, le partage des ressources, la perma va mener cette réflexion qui manque au cahier des charges bio, c’est une alimentation moins carbonée. Ça va venir progressivement, les nouvelles normes prendront en compte consommation des énergies et respect des hommes.
En soi, quel avenir imaginez-vous pour la permaculture, une pratique qu’on critique d’être trop idéaliste ?
Pour l’instant, pour être honnête, on est dans des logiques de survie. C’est difficile d’avancer quand on a des lois et des contextes sociaux qui font tout pour qu’on soit la tête sous l’eau dans le sens économique du terme. On fait tout pour se débattre, à savoir pouvoir en vivre. Forcément, le temps que passé à relever la tête n’est pas passé à avancer. Cette méthode de harcèlement freine beaucoup les ardeurs. Dans tous les cas, on ne peut pas arrêter cette histoire en route et on sait qu’on va y arriver.
Quand Maxime de Rostolan montre des planches de culture de 25 mètres avec de la diversité et dit : “j’ai l’intime conviction que dans cent ans, si l’homme est toujours là, l’agriculture ressemblera à cela”. Je suis persuadé qu’il a raison. On ne peut pas arrêter le mouvement.
“À l’heure où on parle, 70% des exploitations agricoles ne survivraient pas si on coupait les subventions, donc nos impôts.”
Maxime, avec l’association Ferme d’Avenir, fait du lobbying au niveau des politiques pour qu’on existe, qu’on nous foute la paix, qu’on puisse bosser, avancer.
Il faut admettre que la permaculture, même si elle peine à faire du chiffre, à l’avance d’être productive et de faire travailler les hommes. Il faut remettre tout cela en perspective, car elle coûte beaucoup moins cher que l’agriculture conventionnelle. À l’heure où on parle, 70% des exploitations agricoles ne survivraient pas si on coupait les subventions, donc nos impôts. Elles ne sont pas du tout viables économiquement. L’agriculture conventionnelle est un gouffre écologique, énergétique et écologique. Ça nous coûte une fortune. Une fortune !
Plus généralement, la recherche d’autonomie ventée par la permaculture serait une illusion selon vous, mais on parle ici d’une autonomie totale, comme Henry David Thoreau l’a expérimentée il y a plusieurs siècles dans le bois de Walden. Faut-il tout de même chercher plus d’autonomie, car nous serions trop dépendants ?
La permaculture n’a pas la solution, mais apporte la réflexion. L’autonomie totale, voire l’autarcie, est totalement impossible. Elle n’a pas de sens en soi, c’est une insularité. Par contre, il faut comprendre que la société industrielle nous a rendus trop dépendants des services qu’elle propose. Il serait bénéfique d’être dans une collectivité choisi plutôt que subit. Par exemple, si on veut du terreau, on peut aller chez Jardiland, mais on peut aussi en demander à un voisin qui ferait des couches en lasagne dans une idée d’échange contre un autre service rendu. On parle ici de collectivité choisie, c’est une très belle pensée apportée par la réflexion permacole.
“La permaculture n’impose pas un chemin, mais montre une voie.”
Les collectivités ont le défaut de toujours avoir été subies. Pour moi, le vrai sens de la permaculture est donné par Fukuoka lorsqu’il avoue avoir horreur que des étudiants viennent le voir pour faire comme lui. Tout est là en fait. La permaculture n’impose pas un chemin, mais montre une voie.
L’agriculture naturelle a une dimension spirituelle qui manque à la permaculture, or c’est cette même spiritualité qui manque d’une façon générale au monde moderne et à la société occidentale. Faites-vous une opposition entre permaculture, qui garde une volonté de contrôle, et l’agriculture naturelle de Fukuoka qui lâche les rênes pour laisser la nature s’exprimer plus librement ?
Effectivement, c’est le reproche que je fais à la permaculture de façon globale, même à Mollison ou Homgren d’avoir oublié la dimension spirituelle, le sacré. Il n’y a que Fukuoka qui en parle. Je trouve que ça transpire à travers tous ses mots. En France, si tu parles comme dans “La Révolution d’un brin de paille”, lorsque Fukuoka décrit sa crise existentielle, tu termines en hôpital psychiatrique.
Les derniers mots du livre sont de votre fille : “Ceux qui sont prêts, n’attendez pas !”. Est-ce le message que vous souhaitez faire passer aux achésiens ?
Je pense que tout est là en fait. Si on hésite, si on ne sait pas exactement si la permaculture est la meilleure des solutions, il faut se lancer, il faut faire des tests, il faut réfléchir, il faut en parler… il faut mettre les mains dans la terre ! Concernant la conclusion du livre, écrite par ma fille Maude, j’en étais super fier. Seul, je m’étais engagé à ne pas lire son texte avant que le bouquin soit publié. Tout le monde l’avait lu dans la création du livre, sauf moi. Par contre, j’ai une confiance totale en Maude. Je savais qu’elle nous surprendrait. C’était important pour moi d’avoir sa vision. Je suis super fier de ce qu’elle a écrit. Tout comme ma préface. On m’a conseillé de demander à Nicolas Hulot, avant qu’il soit Ministre, mais je suis super fier que ce soit mon papi d’adoption qui l’ait fait, c’était très important que la parole soit donnée à un paysan.
“Pour ceux qui sont un peu sur la rive, qui hésite à entrer dans la permaculture, j’ai eu envie d’écrire ce livre pour qu’ils aient envie d’y aller.”
Pour ceux qui sont un peu sur la rive, qui hésite à entrer dans la permaculture, j’ai eu envie d’écrire ce livre pour qu’ils aient envie d’y aller. Ce qui serait vraiment bien. J’espère aussi que tout le monde comprend qu’on peut tous prendre part au mouvement. Le tout c’est d’y aller.
Au coeur de la Permaculture - Xavier Mathias
Éditions LaroussePrix : 17,95 €