Un produit labellisé bio est-il forcément durable ?

Produit bio dans un rayon de supermarché
Pourquoi certains produits bio continuent à appauvrir la qualité des sols
Par Mathieu Doutreligne publié le
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Tous les produits bio ne se valent pas dans la lutte contre l’effondrement de la biodiversité et le changement climatique. Voilà ce qu’affirme Jacques Caplat, agronome expert du bio, qui accorde quelques bénéfices au bio low-cost, en affirmant que ce n’est qu’une porte d’entrée vers la véritable agriculture biologique.

Aujourd’hui, tout le monde veut du bio. Les consommateurs en désirent dans leur panier, les marques continuent leurs efforts ou s’y mettent fièrement, les magasins spécialisés fleurissent un peu partout et les rayons bio des supermarchés n’ont jamais été aussi étoffés. C’est une excellente nouvelle. Au niveau des chiffres, l’Agence Bio annonce une progression à deux chiffres du secteur depuis maintenant plus de 10 ans.

Cependant, vous avez dû le constater, certains acteurs sont très engagés dans leur démarche, quand d’autres font le strict minimum pour obtenir le petit label vert tant recherché. Les produits bio se valent-ils ? Sont-ils tous réellement efficaces pour nous maintenir en bonne santé et régénérer les sols afin de préserver l’environnement, éviter l’effondrement de la biodiversité ? Afin de nous éclairer sur la question, nous avons posé la question à Jacques Caplat, agronome expert de l’agriculture biologique.

Jacques Caplat est reconnu à l’international dans l’univers du bio. Il est l’auteur de “L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité” (Actes Sud 2012), de “Changeons d’agriculture, réussir la transition” (Actues Sud 2014) et de plusieurs rapports nationaux sur l’agriculture biologique. Il est l’un des co-fondateurs du Réseau Semences Paysannes et a également animé pendant plusieurs années un groupe d’experts français sur les semences biologiques.

Bio à la Une : Le bio progresse, encore et toujours. Est-ce forcément une bonne nouvelle ?

Jacques Caplat est reconnu à l’international dans l’univers du bio. Il est l’auteur de “L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité” (Actes Sud 2012), de “Changeons d’agriculture, réussir la transition” (Actues Sud 2014) et de plusieurs rapports nationaux sur l’agriculture biologique. Il est l’un des co-fondateurs du Réseau Semences Paysannes et a également animé pendant plusieurs années un groupe d’experts français sur les semences biologiques.

Que pensez-vous du bio “low cost” comme porte d’entrée vers une alimentation plus saine pour les budget les plus modestes ?

Ce qu’on appelle bio industrielle ou bio “low cost”, je l’appelle agriculture conventionnelle sans chimie. Au niveau de la réglementation, la chose importante à comprendre est que “bio” ne veut pas dire sans chimie. Si on applique les mêmes méthodes agricoles et qu’on enlève les produits chimiques, ce n’est pas de l’agriculture biologique. C’est l’énorme erreur que font beaucoup de gens.

“Si on applique les mêmes méthodes agricoles et qu’on enlève les produits chimiques, ce n’est pas de l’agriculture biologique.”

En se contentant d’enlever la chimie, on continue à faire de l’agriculture conventionnelle, c’est-à-dire une technique de culture basée sur des variétés standardisées, sur une très faible diversité de culture, sur l’absence d’écosystème, sur la non-valorisation de la main d’oeuvre. Tout un tas d’éléments qui font que, pour moi, ça n’est pas vraiment de l’agriculture biologique.

Ce point de vue est également celui des fondateurs, Pfeiffer et Howard, pour qui la bio est un organisme agricole qui met en relation les humains avec l’ensemble de l’écosystème. C’est une nouvelle démarche agronomique. Donc si elle n’est pas adoptée dans son ensemble, on obtient un résultat bancal comme c’est le cas aujourd’hui.

“C’est déjà un progrès, mais un petit. [...] On exploite de la main-d’oeuvre sous-payée et les sols continuent à s’appauvrir.”

Il faut reconnaître que c’est déjà un progrès, mais un petit. Un progrès qui permet d’améliorer la qualité environnementale de l’agriculture, mais qui continue de poser de gros problèmes sur le plan social. En effet, on exploite de la main-d’oeuvre sous-payée et les sols continuent à s’appauvrir. C’est de la bio non éthique. Si on s’arrête là c’est dangereux.

Où faut-il placer la majorité des efforts à fournir ? Dans le développement du bio low cost qui reste une porte d’entrée, ou dans la véritable agriculture biologique ?

C’est tout le mal-entendu qu’il y a sur ce sujet. La baisse des prix du bio low cost n’est que provisoire. Il est plus facile de démocratiser une bio exigeante qu’une bio au rabais. Si on se contente d’enlever la chimie sans changer les bases agronomiques, on obtient des systèmes fragiles qui vont être plus facilement malades, les sols vont se fatiguer plus rapidement, la dimension sociale est absente, etc. Le résultat n’est pas durable, la transition n’est pas efficace. Si, au contraire, on est plus exigeant, les agriculteurs se rendent compte très rapidement que c’est plus efficace. C’est alors que les prix s’adapteraient beaucoup plus aux possibilités des consommateurs.

“La baisse des prix du bio low cost n’est que provisoire. [...] Le résultat n’est pas durable, la transition n’est pas efficace.”

Si les consommateurs ont le pouvoir, que doivent-ils faire au quotidien ?

Ils peuvent orienter leurs choix, notamment en achetant des produits qui ont des labels plus exigeants que le label européen. Par exemple la marque Bio Cohérence ou des marques plus anciennes comme Nature & Progrès, Demeter. Également, lorsque les consommateurs choisissent d’acheter dans des magasins spécialisés bio, sur les marchés, auprès des producteurs en vente directe, là ils vont pousser les filières à s’organiser vers une agriculture bio sérieuse.

“Les consommateurs peuvent pousser d’un côté, en ajustant leur consommation.”

D’un autre côté, il faut aussi des outils politiques et économiques, sinon les grandes chaînes de supermarchés et les multinationales n’auront pas intérêt à changer leur façon de faire. Proposer des produits conventionnels sans chimie au rabais de la réglementation n’a que peu d’intérêt. Les consommateurs peuvent pousser d’un côté, en ajustant leur consommation, les politiques et les acteurs économiques doivent agir en poussant d’un autre côté.