Biocontrôle : pour remplacer les pesticides, la guerre des insectes est déclarée
Dans un hangar de la Drôme, des milliards de larves de papillons sont concentrées dans une petite salle immaculée. Leur destin : nourrir des insectes capables de protéger les cultures agricoles des ravageurs afin d'utiliser moins de pesticides.
Le biocontrôle, ou lutte biologique, représente actuellement 5 % du marché et pourrait voir sa part tripler en France d'ici 2025, a estimé l'association des producteurs et vendeurs de produits phytosanitaires (UIPP). Le biocontrôle représente 30 millions d'euros du chiffre d'affaires de Bioline Agrosciences, filiale d'InVivo, premier groupement français de coopératives agricoles. A Livron-sur-Drôme, l’entreprise élève dans un hangar de 17.000 mètres carrés, toutes sortes d'insectes protecteurs de plantes et friands... d'insectes.
Une armée d’oeufs de papillon pour nourrir les soldats
Le papillon ephestia kuehniella, mite alimentaire, est le nerf de cette guerre. Selon les cas, ses oeufs vont nourrir les insectes lâchés plus tard dans les cultures ou servir d'hôtes aux oeufs d'autres espèces chargées de traquer les ravageurs. Des millions d'oeufs d'ephestia sont répartis dans des supports de cartons alvéolés, empilés pour former de petits buildings d'un genre particulier, gorgés de blé concassé dont se nourrissent les larves écloses.
"C'est le HLM des larves", explique en souriant Sébastien Rousselle, responsable marketing, vêtu de la blouse blanche de rigueur, pour arpenter, avec les journalistes de l'AFP, les salles d'élevage qui composent le hangar.
"Dans chacune des salles, on est capable de maintenir les conditions de luminosité, température, humidité optimales pour le développement des insectes", lesquelles varient selon les stades, explique-t-il. Et d’ajouter : "ces larves, en se développant, respirent et créent de la chaleur", pour justifier le vrombissement permanent des aérateurs qui renouvellent l'air afin d'éviter une accumulation de chaleur et de CO2.
"Le HLM des larves", Livron-sur-Drôme, le 11 décembre 2018 / © ROMAIN LAFABREGUE - AFP
Des micro-guêpes pour sauver les cultures de maïs
Autre grande vedette du hangar : le trichogramme, une micro-guêpe, dont six espèces différentes prolifèrent. Selon leurs caractéristiques, elles protègent vignes, soja, châtaigniers, tomates et buis. Mais leur principal champ de bataille est la culture de maïs et leur ennemi juré, la pyrale, une chenille qui se délecte des épis et des tiges. "Les trichogrammes sont commercialisés dans une dizaine de pays, en Europe et en Amérique du Sud. En France, ils protègent 110.000 hectares de maïs sur 2,7 millions", explique Elizabeth Macé, directrice marketing de Bioline.
"La femelle va pondre son propre oeuf à l'intérieur de l'oeuf de l'insecte ravageur. Cet oeuf va éclore à l'intérieur de l'oeuf du ravageur et la larve va manger l'oeuf de la pyrale de l'intérieur. Le stade auquel le ravageur fait des dégâts, ce sont les larves, on agit avant même que les dégâts aient eu lieu", explique Sébastien Rousselle.
A l'aide d'un microscope, il révèle dans une coupelle remplie de milliers d'oeufs d'ephestia, l'existence d'une petite société dans laquelle de plus en plus d'oeufs ont viré du blanc au noir, signe qu'ils ont été colonisés par des trichogrammes.
"On va trier tout ça et garder un maximum d'oeufs noirs, qu'on va envoyer aux agriculteurs pour protéger leurs parcelles", explique M. Rousselle.
Des Ephestia kuehniella dans l'entreprise Bioline Agrosciences / © ROMAIN LAFABREGUE - AFP
“Protéger l’équivalent de deux terrains de football”
Dans les mains de Julien Baduraux, agriculteur en Meurthe-et-Moselle, un carton de la taille d'un jeu d'échecs, se découpe en 25 plaquettes de diffusion et "permet de protéger l'équivalent de deux terrains de football". "C'est facile à mettre en place, les diffuseurs dans la parcelle. J'ai six hectares de maïs, je mets moins d'une heure", explique-t-il à l'AFP. Lors d'un essai comparatif entre son exploitation et celle de deux voisins, il affirme avoir constaté un résultat comparable à celui relevé dans une exploitation traitée chimiquement."Aux États-Unis, il y a un marché qui se développe énormément, grâce à la culture du cannabis", souligne Mme Macé.
L’an dernier, pour la première fois en Europe, le nombre de procédures d'homologations de produits de biocontrôle a dépassé celles des molécules chimiques, et ce, à la suite des pressions exercées sur les usages de pesticides.