Chlordécone non cancérigène ? Le président au coeur de la polémique
Après avoir déclaré que le chlordécone n’était pas cancérigène, le président de la République essuie la critique et suscite la controverse.
Perturbateur endocrinien interdit en France en 1990, le chlordécone, utilisé aux Antilles jusqu’en 1993, est un insecticide cancérigène, selon de nombreuses études. Le président de la République Emmanuel Macron ne serait pourtant pas de cet avis. Dans le cadre du grand débat national organisé à l'Élysée vendredi 1er février, Emmanuel Macron a remis en doute la dangerosité du pesticide. Une déclaration qui a fait grincer des dents scientifiques et élus d’Outre-Mer.
Un échange houleux avec les élus ultramarins
Tandis que les spécialistes s’inquiètent de la toxicité du chlordécone, celui-ci serait toujours présent dans les sols où il peut subsister pendant 600 ans. Il s’infiltre également dans les denrées végétales et animales, et représente un véritable danger pour la santé. Alors que l’insecticide utilisé dans les bananeraies est au coeur d’un scandale sanitaire, le président Macron s’est aventuré sur un terrain glissant. "Il ne faut pas dire que c'est cancérigène", a-t-il déclaré, provoquant ainsi la colère des élus ultramarins. Emmanuel Macron a ajouté que "personne n'a établi de lien direct" entre la présence de chlordécone dans les sols de Martinique et de Guadeloupe et l'explosion du nombre de cancers dans les Antilles. "Si on m'avait établi un lien direct, j'aurais pris les décisions qui vont avec", avait-il conclu.
Ces propos, vivement critiqués par les élus de Guadeloupe et de Martinique, ont donné lieu à un échange houleux avec le chef de l’Etat. Contacté par Le Monde lundi 4 février, l'Élysée plaide le "malentendu" : "Le président n'a jamais dit que le chlordécone n'était pas cancérigène. Quand il dit : 'Il ne faut pas dire que c'est cancérigène', c'est une façon de dire : 'On ne peut pas se contenter de dire que c'est cancérigène, il faut aussi agir." L’Élysée tente d’étouffer la polémique en justifiant que le président voulait souligner que "les études scientifiques n'ont pas établi de lien direct" entre cancer et chlordécone.
"Il ne faut pas dire que la #chlordecone est cancérigène" dit Emmanuel Macron dans le #Granddebatnational #Outremer pic.twitter.com/dQ2KDaVKPT
— La1ere.fr (@la1ere) 1 février 2019
Les scientifiques contre-attaquent
La communauté scientifique a également réagi aux déclarations du chef de l’Etat, contredisant ainsi ses propos dans une lettre ouverte aux médias. Un véritable pamphlet rédigé par le directeur de recherche de l'INSERM, Luc Multigner, ainsi que le chef de service d'urologie du CHU de Pointe-à-Pitre, Pascal Blanchet, contestant le discours d’Emmanuel Macron : "Le Centre international de la recherche sur le cancer, une agence de l'OMS, a établi en 1979 ‘qu'il existe des preuves suffisantes pour considérer que le chlordécone est cancérogène chez la souris et le rat' et qu’en absence de données chez l'homme, il était 'raisonnable, à des fins pratiques, de considérer le chlordécone comme s'il présentait un risque cancérogène pour l'homme'". Et d'ajouter qu'en 1987, ladite agence "a classé le chlordécone dans la catégorie cancérogène 2B (peut-être cancérogène pour l'homme)".
Les scientifiques rappellent qu’ils ont mené des travaux de recherche en 2010 "auprès des populations antillaises et qui montraient que l'exposition au chlordécone est associée à une augmentation de risque de survenue du cancer de la prostate". "Force est de constater qu'à ce jour elles n'ont pas été contredites", ont-ils déploré. "Emmanuel Macron n'est pas un scientifique mais un responsable politique. Ce n'est donc pas à lui de dire si le chlordécone est cancérigène ou pas, ni à quelle dose ni dans quel cas d'exposition", concluent les spécialistes.
Relevons tout de même qu'Emmanuel Macron a également annoncé qu'il s'engageait à "aller vers le 0 chlordécone dans l'alimentation".
Crédits photo : © EMMANUEL FOUDROT - POOL/AFP