Face au coronavirus, des Parisiens s'exilent à la campagne
Faire ses bagages en vitesse et "quitter Paris" pour "se mettre au vert": pour ceux qui le peuvent, ce choix s'impose comme une évidence face à l'épidémie de coronavirus et à la peur d'un éventuel confinement total imposé par le gouvernement.
Audioprothésiste, Hélène termine ses préparatifs. La boutique où elle travaille vient de fermer, comme tous les commerces non essentiels et les parcs de la ville, et son compagnon, employé d'un ministère, est lui en télétravail. "Le confinement total semble irrémédiable", souffle la jeune femme de 28 ans. Une telle mesure serait exceptionnelle en France en temps de paix. Alors pour elle, "rester dans 40m2 à deux à Paris, c'est pas possible. Si j'ai la possibilité de bouger, je le fais."
Le couple vient de louer une voiture, "pour éviter le train et ne pas prendre de risques". Direction Montpellier, dans la maison parentale du jeune homme : 120m2, un jardin et une piscine, de quoi supporter la quarantaine, "avec un peu plus de confort". D'autant que la question d'une mise en danger de leurs aînés ne se pose plus : "on a passé le week-end ensemble car ils venaient sur Paris pour un déménagement, donc on est déjà tous à risques les uns pour les autres", résume Hélène, qui prévoit un confinement strict une fois dans le sud.
Consultant informatique, Romain quitte également Colombes en proche banlieue, pour s'installer en Vendée avec sa compagne et son enfant de deux ans. L'appartement familial qu'on leur prête fera la même taille, mais il aura "vue sur l'océan". "Tu peux descendre dix minutes sur la plage et remonter. Le confinement sera moins difficile à vivre, surtout pour le petit", prévoit ce trentenaire, qui ne se voyait tout simplement pas rester à Paris. "Avec les transports et la concentration d'habitants au mètre carré, tu prends bien plus de risques, même pour faire des courses."
"Atmosphère anxiogène"
Léa Bélorgey fuit elle aussi "l'atmosphère particulièrement anxiogène" engendrée par l'épidémie, pour "un cadre plus prêt de la nature". Dans son loft de 120m2 à Ivry-sur-Seine, elle ne manquait pas d'espace, mais pour affronter un éventuel confinement, elle se replie sur une habitation au Pays basque familial avec des amis.
Quitte à prendre le train et à multiplier les contacts. "Je ne suis pas rassurée, à la gare Montparnasse ce matin, il y avait beaucoup de monde, aucune distance de sécurité entre chaque personne", regrette l'attachée de presse de 32 ans, qui s'isolera de sa famille sur place. Faute de résidence secondaire, certains se résolvent à louer. Mère de cinq enfants, Julie Lahaye-Dugauguez quitte Saint-Mandé avec son mari pour un gîte dans le Perche, sans voisins, en lisière d'une forêt. Tarif : 500 euros la semaine pendant un mois. "L'idée, c'était d'avoir un endroit sans contaminer le reste de la France", témoigne la quadragénaire. "Ce n'était pas prévu dans le budget, c'est un sacrifice financier, mais c'est pour notre bien et celui des enfants."
Dans l'imaginaire, "la ville reste le lieu des mauvaises odeurs, des maladies et des émeutes", observe le sociologue Jean Viard, pas étonné par cet exode précipité.
"C'est un vieux modèle de protection de l'aristocratie", rappelle-t-il. "Historiquement, les bourgeoisies urbaines ont toujours eu une maison à une journée de cheval pour pouvoir mettre leur famille à l'abri en cas de peste ou de chaleur. (...) En 1939, nombre de bourgeois se sont achetés des demeures à la campagne, pour aller y passer la guerre en cas de victoire des nazis."
Ce vieux réflexe est renforcé par le fait qu'il "faut se structurer psychologiquement: on risque d'être marqués par des morts, que ce soit de gens célèbres, d'amis ou de parents. Donc les gens essaient de se construire un projet positif."
Le phénomène s'étend d'ailleurs probablement bien au-delà de Paris, remarque-t-il. "En Corse, j'ai de la famille qui est en train de monter ses enfants au village".