Lubrizol : une enquête montre les conséquences sanitaires de l'incendie chimique
Une enquête de santé, menée par l’association Rouen Respire à la suite de l’incendie de Lubrizol/Normandie-Logistique du 26 septembre 2019, a permis d’obtenir 565 réponses sur les conséquences sanitaires de l'incendie de l'usine chimique Lubrizol.
Une enquête dirigée par le groupe Santé de l’association Rouen Respire, constitué de quatre médecins (médecin généraliste, médecins du travail, psychiatre), un biostatisticien, une enseignante et une biologiste médicale, a évalué l’impact environnemental de l’incendie de l'usine Lubrizol sur le quotidien des habitants, leur santé. Les experts ont aussi recueilli les impressions générales des participants quant à leur vécu de l’incendie, la gestion de la crise, leur préparation et leur protection vis-à-vis de ce type d’événement.
Une étude qui apporte des réponses même si elle n'est pas representative
Les sujets intérrogés ne constituent pas un échantillon représentatif, puisqu’il s’agit en grande partie d’adhérents de l’association, de ce fait particulièrement sensibilisés et/ou impactés. La répartition hommes-femmes est d’un tiers/deux tiers. Trois quarts des participants ont entre 24 et 64 ans, les personnes concernées ont entre un et 84 ans. L'étude ne prétend donc pas apporter toutes les réponses, mais "ouvre des pistes de réflexion qui concernent une population très large", explique Rouen Respire.
Les principales conséquences de l’incendie de Lubrizol
L’enquête révèle que les personnes ayant déjà une maladie chronique ont été plus durement touchés : symptômes durables, recours à des soins plus importants. Les participants qui, principalement vivent à moins de 10 km de l’incendie, ont été davantage atteints par ses conséquences environnementales. En effet, ils ont senti des odeurs (98 %), se sont retrouvés sous le panache de fumées (68 %), ont constaté des retombées de suies sur leurs lieux de vie (42 %), ou vivent dans la zone où des débris de fibrociments sont retombés (55 %).
La zone géographique de perception des odeurs dépasse largement la zone située sous le panache. Les participants ont, dans leur grande majorité (88%), ressenti plusieurs symptômes, et ceux-ci ont persisté, parfois pendant des mois. Les symptômes respiratoires (60 %), ORL (78 %) et surtout l’anxiété (80 %) sont au premier plan.
Une anxiété collective
Le syndrome ressenti par le plus grand nombre est une anxiété "fréquente et durable". Les femmes enceintes et allaitantes ont été particulièrement stressées. Selon l’étude, il s’agit d’un phénomène normal lié à différents facteurs : le caractère inattendu de l’évènement, les pertes économiques, les odeurs répandues dans la ville, le sentiment d’abandon, la préparation insuffisante de la population…
Cette anxiété a été d’autant plus importante que "les personnes ont subi des odeurs, comme si celles-ci venaient rappeler à chacun les risques auxquels il est exposé", révèle l'enquête.
Certaines personnes ont subi un stress post-traumatique. Pour éviter d’en arriver là, l’association préconise un accompagnement des personnes les plus sensibles de la part du gouvernement.
Un recours aux soins sous-estimé
L’enquête révèle un recours aux soins importants des participants. Après l’incendie, l’organisme Santé Publique France a lui aussi rendu son évaluation. Celui-ci "a recensé le nombre d’actes médicaux en lien avec l’incendie auprès des services d’urgence et de SOS médecins. Il s’est référé par ailleurs aux éventuels signalements spontanés venant de la médecine libérale et a regardé si une suractivité était observable dans les données de l’Assurance Maladie. Ce recueil de données conclut à une activité globale stable avec une hausse des recours pour pathologie respiratoire fin septembre/début octobre", selon l'association.
Pour une étude de santé publique complète, Rouen Respire préconise de prendre en compte les arrêts de travail suite à des symptômes. Mais le Point Focal Régional (plateforme proposée par l’ARS aux médecins pour faire remonter des signalements) est peu connu du grand public, et les signalements y sont faibles. Une enquête réalisée par l’URML (Union Régionale des Médecins Libéraux) souligne "le manque d’information et de recommandations claires destinées aux médecins pour les aider dans la prise en charge de leurs patients après l’incendie".
Rouen Respire demande la mise en place plus importante d’outils d’information destinés à la population.
Plusieurs pistes de réflexion
Les pistes de réflexion sont diverses et s’ouvrent à un public très large :
- Les odeurs sont encore perçues par les riverains. En effet, de nombreux déchets chimiques plus ou moins brûlés n’ont pas été évacués du site. La dépollution totale du site permettra-t-elle de stopper la "possible libération de produits chimiques et de fibres d’amiantes dans l’atmosphère, avec le risque de graves conséquences sanitaires", questionne l'association.
- Quelles sont les conséquences sanitaires dans le temps à l’exposition aux produits chimiques, les particules fines et les fibres d’amiante ?
- Les études de santé publique et les études hospitalo-universitaires actuellement en cours permettront-elles de répondre à l’impact de l’incendie sur la grossesse, l’allaitement, le suivi des enfants nés après l’incendie, les conséquences sur la fertilité, l’impact médico-psychologique à long terme ?
- Dans le cas d’un nouveau sinistre similaire, ne faudrait-il pas déclencher les alarmes de sécurité plus tôt, confiner davantage, ou évacuer les personnes à risque accru ?
- Rouen Respire s’interroge sur la conservation des prélèvements biologiques de la population potentiellement infectée en vue d’analyse ultérieure. Ils pourraient permettre de préparer les laboratoires à une campagne de prélèvements qui pourrait être organisée efficacement dans l’urgence en cas de nouvel accident industriel.
- L’analyse de prélèvements environnementaux a été confiée à Lubrizol et Normandie Logistique. Comment s’assurer que cette étude soit faite en toute loyauté compte-tenu d’un conflit d’intérêt évident dans une telle situation, s’interroge l’association.
- La densité industrielle, les conditions météorologiques défavorables, la pollution automobile sont autant de facteurs aggravants à la géographie du territoire. Comment favoriser un développement économique de cette zone qui respecterait mieux l’environnement ?
- Quelles politiques faudraient-il mettre en œuvre pour mieux informer et préparer la population aux accidents industriels de plus en plus nombreux, et surtout empêcher qu’une catastrophe de même nature ne puisse se reproduire ?
L’association Rouen Respire espère avec cette enquête avoir un retour du gouvernement et "qu’une politique de santé publique soit mise en œuvre sur le terrain" pour répondre à toutes les interrogations de la population.
L'objectif est aussi de découvrir les causes de l’incendie pour établir la responsabilité de chacun afin que les préjudices soient reconnus.