L’antibiorésistance : bientôt la première cause de mortalité ?
Si les antibiotiques nous ont permis de faire reculer la mortalité au XXe siècle en diminuant les risques associés aux maladies infectieuses, au XXIe siècle, leur utilisation généralisée en ville et à l’hôpital a conduit à l’apparition de résistances responsables de milliers de morts dans le monde.
L’antibiorésistance damera-t-elle bientôt le pion au cancer dans le triste palmarès des principales causes de mortalité ? C’est en tout cas la sombre conclusion d’une étude prospective commandée en 2016 par le gouvernement britannique à l'économiste anglais Jim O'Neill, qui indiquait qu’en l'absence de politique adaptée, 10 millions de personnes pourraient mourir d’infections causées par des bactéries multi-résistantes aux antibiotiques à l’horizon 2050 ! « Une projection réalisée selon le pire des modèles ! », tempère Didier Mazel, généticien et directeur de l’unité de recherches « Plasticité du Génome Bactérien » à l’Institut Pasteur mais « qui a, au moins, le mérite de marquer les esprits ! ». Car pour le généticien, l’antibiorésistance n’en demeure pas moins une préoccupation majeure tant il semble que nous nous trouvions actuellement au carrefour d'une accélération alarmante de la résistance aux antibiotiques. Or, si l’avènement des premiers antibiotiques dans les années 1940, après la découverte fortuite de la pénicilline en 1928 par le biologiste britannique Alexander Fleming, a permis de faire sensiblement reculer la mortalité par maladies infectieuses au cours du XXe siècle, leur utilisation massive et répétée les rend chaque jour plus inopérants, esquissant ainsi un danger planétaire. Au XXIe siècle, il se chiffre déjà en milliers de morts !
Un risque identifié dès 1945
Fièvre typhoïde, coqueluche, tuberculose, pneumonies, méningites et septicémie… : dans les années 1940, l’avènement des premiers antibiotiques a permis de vaincre une série de pathologies bactériennes jadis dévastatrices et de sauver ainsi des millions de vies. Mais l’efficacité de ces armes que d’aucuns considéraient comme radicale est aujourd’hui menacée. Soulevé par Alexander Fleming dès 1945, le risque d’antibiorésistance ne fut alors pas pris au sérieux et, jusqu’aux années 1990, un véritable âge d’or des antibiotiques a fait la part belle à ces « armes magiques » qui, à l’instar des vaccins, contribuaient à juguler l’impact de tant de maladies infectieuses.
« Nous avons longtemps cru au miracle antibiotique et pensé que le développement de plusieurs molécules nous permettrait de contrer le phénomène d’antibiorésistance. A partir des années 1980, la production de nouveaux médicaments s’est tarie par manque de rentabilité et sous l’effet d’un désintérêt patent pour les maladies infectieuses renforçant encore le phénomène ! » Ainsi, et face à l’utilisation massive des antibiotiques à l’hôpital, en médecine de ville mais aussi dans l’agriculture et l’élevage industriel, les microbes ont patiemment et inexorablement appris à résister aux différentes familles de molécules existantes sur le marché, donnant ainsi lieu à un nombre croissant de bactéries devenues résistantes aux antibiotiques.
L’antibiorésistance quésaco ?
« L’évolution de la COVID-19 avec l’apparition de variants illustre parfaitement le phénomène d’antibiorésistance explique Didier Mazel : tout comme le font les virus avec les mutations, les bactéries confrontées à un antibiotique s’emploient à lui résister ! Il s’agit là d’un processus évolutif naturel qui, dans le cas des bactéries, est toutefois bien plus inquiétant que dans celui des virus, puisque ces dernières sont capables d’échanger de l’ADN entre elles, sur de très grandes distances phylogénétiques ! » Ainsi, et selon ce mécanisme, une bactérie d’eau de mer peut tout à fait transférer des gènes à une bactérie de l’intestin, ce qui fait de l’antibiorésistance un phénomène global affectant des environnements pluriels et des plus préoccupants ! C’est donc la pression de sélection qu’opèrent les antibiotiques sur les populations bactériennes qui entraîne l’apparition de souches résistantes. Parmi les souches incriminées, certaines sont multirésistantes, c’est-à-dire résistantes à plusieurs antibiotiques tandis que d’autres sont dites « toto-résistantes » ce qui en fait des bactéries résistantes à la quasi-totalité des antibiotiques aujourd’hui disponibles sur le marché ! Dans ce dernier cas, on ne dispose donc plus de moyen de soigner contre les infections considérées : « Il y a aujourd’hui quelques bactéries pour lesquelles la situation est critique, juge Didier Mazel, c’est ce qu’on appelle les ESKAPEE à l’origine notamment de nombreuses maladies nosocomiales. »
Un retour en arrière qui risque donc bien d’annuler les progrès réalisés ces trente dernières années dans de nombreux domaines médicaux : en chirurgie lourde bien sûr mais aussi lors de transplantations d’organes ou de chimiothérapies. Et les infections bénignes ne sont pas en reste puisqu’une pathologie telle que la cystite offre des options thérapeutiques de plus en plus ténues.
Une recherche mobilisée
Face à une telle menace, la recherche est mobilisée et différentes pistes sont actuellement explorées. Si, comme le déplore Didier Mazel, « le « Big pharma » s’est totalement désengagé du développement de nouvelles molécules, ce n’est pas le cas des start-up qui, pour certaines, travaillent à la création de médicaments prometteurs ». Et, alors que les stratégies médicales avaient jusque-là favorisé la production d’antibiotique à large spectre et « tout-terrain », s’attaquant à plusieurs groupes de bactéries, « on réfléchit aujourd’hui à des stratégies plus ciblées, utilisant notamment des molécules traitant spécifiquement telle ou telle bactérie : « on abaisse ainsi très fortement les chances de sélectionner de la résistance », explique Didier Mazel.
Autre piste aujourd’hui explorée : revisiter des antibiotiques abandonnés parce que trop toxiques en les améliorant. Et, à l’institut Pasteur, Didier Mazel travaille sur la génétique de la résistance aux antibiotiques. « Nous nous sommes aperçus que l’on pouvait retourner certains des éléments que les bactéries utilisent pour développer de la résistance contre elles ! » En créant une sorte de « grenade génétique » ciblant uniquement les souches bactériennes antibiorésistantes, son équipe est parvenue à détruire la bactérie Vibrio cholerae, naturellement présente dans l’environnement côtier et ses organismes vivants, et responsable du choléra chez l’homme. D’autres approches de ce type existent telles que les CRISPR, une protéine permettant de supprimer les morceaux d’ADN responsables de la résistance. Mais si ces stratégies semblent prometteuses, elles sont encore difficiles à mettre en œuvre : « la législation ne nous permet pas d’utiliser ce type de solution car elles font intervenir des OGM. J’ai cependant bon espoir que nous puissions à terme les mettre en œuvre pour décontaminer les eaux ou traiter des fermes d’élevage. »
L’antibiorésistance quésaco ?
« L’évolution de la COVID-19 avec l’apparition de variants illustre parfaitement le phénomène d’antibiorésistance explique Didier Mazel : tout comme le font les virus avec les mutations, les bactéries confrontées à un antibiotique s’emploient à lui résister ! Il s’agit là d’un processus évolutif naturel qui, dans le cas des bactéries, est toutefois bien plus inquiétant que dans celui des virus, puisque ces dernières sont capables d’échanger de l’ADN entre elles, sur de très grandes distances phylogénétiques ! » Ainsi, et selon ce mécanisme, une bactérie d’eau de mer peut tout à fait transférer des gènes à une bactérie de l’intestin, ce qui fait de l’antibiorésistance un phénomène global affectant des environnements pluriels et des plus préoccupants ! C’est donc la pression de sélection qu’opèrent les antibiotiques sur les populations bactériennes qui entraîne l’apparition de souches résistantes. Parmi les souches incriminées, certaines sont multirésistantes, c’est-à-dire résistantes à plusieurs antibiotiques tandis que d’autres sont dites « toto-résistantes » ce qui en fait des bactéries résistantes à la quasi-totalité des antibiotiques aujourd’hui disponibles sur le marché ! Dans ce dernier cas, on ne dispose donc plus de moyen de soigner contre les infections considérées : « Il y a aujourd’hui quelques bactéries pour lesquelles la situation est critique, juge Didier Mazel, c’est ce qu’on appelle les ESKAPEE à l’origine notamment de nombreuses maladies nosocomiales. »
Un retour en arrière qui risque donc bien d’annuler les progrès réalisés ces trente dernières années dans de nombreux domaines médicaux : en chirurgie lourde bien sûr mais aussi lors de transplantations d’organes ou de chimiothérapies. Et les infections bénignes ne sont pas en reste puisqu’une pathologie telle que la cystite offre des options thérapeutiques de plus en plus ténues.