L’école inclusive : des enjeux fondamentaux
L'expression semble relativement floue pour certaines personnes. Et pourtant, les enjeux de l’école inclusive sont particulièrement concrets : scolariser tous les élèves, quels que soient leurs profils ou leurs besoins. Un principe simple, pour une question très vaste, qui, elle-même, implique des questionnements ciblés. Petit tour d’horizon avec Nadjet TABOURI, professeure des écoles, enseignante spécialisée à dominante pédagogique et formatrice experte (faculté d’éducation et de formation, ICP-Paris).
L’école inclusive, qu’est-ce que c’est ?
Pour parler de l’école inclusive, il faudrait partir d’un présupposé, que souligne Nadjet TABOURI : "La question de l’inclusion est toute aussi floue pour des enseignants que pour des personnes non enseignantes". Toutefois, pour planter le décor, la formatrice et enseignante définit l’école inclusive comme " un processus qui vise à scolariser tous les élèves, quel que soit leur profil et quel que soit leurs besoins. Elle [l’école inclusive] part du principe d’accessibilité et de production de handicap. Elle vise à agir sur l’environnement afin de lever les obstacles liés aux apprentissages, qu’ils soient didactiques, pédagogiques ou didactiques. [...] Ce n’est plus à l’individu de s’adapter à la société mais à la société de s’adapter à l’individu. C’est le principe d’accessibilité". Un principe si fondamental qu’il n’a pas échappé aux textes.
École inclusive : que disent les textes ?
En effet, la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005 a planté le décor en posant le droit de chacun et de chacune d’être scolarisé de façon adaptée. Cette loi fait elle-même écho à celle du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.
" Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce qu’il y a derrière la loi de 2005, c’est un changement de paradigme, où on passe de la personne handicapée à la personne en situation de handicap, de manière plus globale dans la société. C’est le principe de la production sociale du handicap : une personne n’est en situation de handicap que parce que l’environnement n’est pas adapté."
Mais si les textes représentent un ancrage symbolique, ils ne correspondent pas toujours à la réalité. Pour Nadjet TABOURI, "il y a l’école inclusive dans les textes, dans la réalité, et dans la représentation". Un trio pas toujours gagnant, qui se lient à des questions de représentations, mais aussi de budget.
En France, les moyens augmentent d’année en année (+6% de budget en 2022 par rapport à 2021), mais pour Nadjet TABOURI : "Aujourd’hui, on est beaucoup dans du saupoudrage, plus que dans une action”. Et au centre de tout cela : les élèves.
Des élèves aux profils riches
Si, par rapport à 2021, 4,8 % d'élèves en situation de handicap ont été scolarisés en milieu ordinaire (en France), l’école inclusive a un spectre très vaste, et redéfinit le terme "besoin". Pour Nadjet TABOURI, "les difficultés rencontrées [de l’élève] peuvent être variées, inhérentes au trouble ou au handicap (auquel cas, elles nécessitent des compensations et des aménagements) ou intrinsèques au processus d’apprentissage. Elles peuvent aussi être de l’ordre cognitif (mémoire, attention, etc.)".
Il s’agirait alors, en premier lieu, d’identifier ce qui obstrue l’apprentissage, pour "le lever ou le compenser" de façon plus efficace. Qu’il s’agisse d’un élève avec un handicap moteur, ou encore d’un élève porteur d’un trouble DYS, l’idéal reste d’avoir un environnement adapté et accessible à tous points de vue.
Quels supports concrets pour permettre l’inclusion ?
Au-delà de changer les étiquettes, l’école inclusive s’inscrit donc dans la société par un besoin de changements concrets dans l’univers d’apprentissage.
“Quand il y a handicap, c’est la maison du handicap (la MDPH) qui va notifier et normalement il y a une commission pluridisciplinaire qui, en fonction du trouble ou du handicap, va dire quelles sont les compensations, les adaptations nécessaires. On compense donc ce qui est inhérent au handicap ou au trouble. Par exemple, un enfant dyslexique ou porteur de troubles DYS n’aura jamais — ou difficilement — accès (en fonction du degré du trouble) à une lecture fluide. Il va alors avoir des compensations dans ce sens. Cela peut être de l’aide humaine (des AESH), un ordinateur, un aménagement de temps scolaire, etc."
Pourtant, si toutes ces questions sont très concrètes, si on comprend que les supports mis à disposition peuvent être nombreux, tout ceci ne représente pas le fond du problème. Pour Nadjet TABOURI, ce dernier reste quon on ne change pas de regard [...] Il faut raisonner autrement, travailler autrement, réfléchir autrement. Il faut penser davantage dans l’autrement que dans le plus. C’est un problème fondamental, c’est le nœud gordien dans la question de l’inclusion."
L’école inclusive serait donc avant toute chose un processus qui n’a pas encore atteint sa compréhension collective totale. Aujourd’hui, en France, si 3,5 millions d'euros sont consacrés à l'école inclusive, pour l’enseignante et formatrice, le modèle resterait intégratif.
Revoir l’approche de l’école ?
Si les deux approches ne devraient pas être distingués, aujourd’hui, pour Nadjet TABOURI, professeure des écoles, enseignante spécialisée à dominante pédagogique et formatrice experte (faculté d’éducation et de formation, ICP-Paris), "différents aspects de l’école sont à rediscuter : le principe d’une classe de niveau par âge, la focalisation sur les programmes en termes de notions plus que de compétences, la formation et l’accompagnement des enseignants, la représentation sociale de la réussite, etc. L’école évolue et ne ressemble aujourd’hui en rien ou presque à l’école d’il y a 20 ou 30 ans, mais beaucoup plus dans la forme que dans le fond."
La question du "faire autrement" semble donc indispensable, incontournable, essentielle. Est-ce à dire que le CAPPEI (certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive) devrait être rendu commun à tous les enseignants ?
Le CAPPEI, la certification de l’école inclusive
Le CAPPEI est donc une certification de l’Éducation Nationale, dont l’enjeu est de former des enseignants et des enseignantes "à l’accompagnement des élèves à besoins éducatifs particuliers qu’ils soient porteurs ou non de handicap".
Nadjet TABOURI nous éclaire sur ses enjeux : "Les enseignants acquièrent des connaissances sur les différents processus d’apprentissage, le développement de l’enfant et de l’adolescent, approfondissent leurs connaissances didactiques et pédagogiques. Ils sont amenés à occuper des postes d’enseignants spécialisés en RASED, en ULIS, SEGPA IME ou tout autre dispositif lié à l’inclusion."
Mais au-delà de ces apprentissages, la question de la transmission est, au sein du CAPPEI, primordiale, puisque les enseignants formés sont aussi chargés de “diffuser les enjeux éthiques et sociétaux liés à inclusion et être personne-ressource auprès de leurs collègues. Ils apportent leurs expertises et leurs connaissances pour contribuer à la scolarisation de tous les élèves”.
Un diplôme important, dont l’École en général pourrait s’emparer. "L’école peut accueillir tout le monde, elle n’est pas encore prête, certes, mais elle s’inscrit dans un processus débuté il y a quelques siècles déjà."
Néanmoins, il semble inutile de faire peser une pression supplémentaire sur les professeurs, portés par l’injonction permanente à l’inclusion. Pour Nadjet TABOURI, il est nécessaire de "prendre en compte les besoins des enseignants, leur laisser le temps et les accompagner. Miser sur la formation initiale est également primordial. Le métier n’est pas juste boudé pour la rémunération, mais pour la complexité et le sentiment d’inefficacité qui devient vite décourageant”.
Une bonne collaboration entre AESH et enseignants, des moyens sans cesse augmentés, une meilleure formation, une compréhension profonde des écarts, une prise de conscience collective sur le "faire autrement", autant d’ingrédients (et plus encore) qui, mis bout à bout, pourraient construire l’école de demain, une école qui, comme le laisse penser Nadjet TABOURI, "sera inclusive quand elle n’aura plus besoin d’un adjectif pour la décrire comme telle".
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