Choisir son café : de l’esclavagisme du XVIIe au commerce équitable moderne
Entre 1,5 et 2 milliards de tasses de café sont bues par jour soient quelques milliers de tasses bues par seconde. Le café c’est toujours et tout le temps. Mais pour le choisir, c’est une autre paire de manches. Surtout lorsque l’on sait qu’il est le fruit d’un marché juteux souvent abominable et trop peu rédempteur…
Le Café, une sombre histoire
Débarqué au XVIIe en Europe et popularisé au XVIIIe siècle à la cour de Louis XV, le café est très vite devenu un produit à fort potentiel marchand. En Europe les Hollandais se lancent les premiers dans la commercialisation. Les Français succombent rapidement au charme de la boisson chaude. Les conquêtes coloniales des XVIIIe et XIXe siècles couplées à l’esclavagisme laisseront des traces indélébiles sur son histoire.
En France, l’abolition de l’esclavage de 1848 libère plus de 250 000 esclaves, participant à la production de café sur les anciennes terres coloniales. Le Brésil, poussé par la colonisation portugaise, devient au cours du XXe siècle le premier pays exportateur de café.
Esclavagisme de marché
La précision historique semble importante lorsque l’on sait que le café est devenu la première matière agricole échangée dans le monde. Une matière gérée, elle aussi, par des lois de marché. Dans les années 1990, l’éclatement de l’URSS fait émerger de nombreux pays sur la place boursière. La production de café va connaître de graves difficultés.
En 1997 la baisse du cours du café entraîne les petites familles de producteurs dans la misère. Ces productions de moins de 10 hectares représentent pourtant 70 % de la consommation globale de café dans le monde. “De plus en plus isolés en bout de chaîne et soumis aux exigences des grandes compagnies, les petits producteurs sont dans des conditions très défavorables”, explique-t-on du côté du label Max Havelaar.
Raisonnable, respectable, équitable ?
Sous sa bannière Fair Trade (traduisez commerce équitable), Max Havelaar regroupe 50 % de café bio et 30 % issu du commerce équitable. Le commerce équitable, une solution toute faite afin de réguler les fluctuations boursières, impose aux acheteurs affiliés de respecter un prix minimum lors de l’achat de denrées aux producteurs. Un seuil minimal qui n’est pourtant pas respecté par les plus grandes marques de café.
Mondelez qui rassemble les marques Carte Noire, Grand’Mère, Jacques Vabre ou bien encore Tassimo, et De Master Blenders, groupe détenteur de Maison du Café, de L’Or et de Senseo attendent la décision de la Commission européenne quant à leur demande de fusion pour devenir encore plus compétitifs. Des firmes puissantes qui s’enrichissent sans pour autant faire du commerce équitable et de l’agriculture biologique un cheval de bataille.
Un désintérêt qui selon le label Max Havelaar “nuit au capital productif des cultures”. En effet, depuis la crise du café à la fin des années 1990, “deux décennies de revenus extrêmement faibles, compris entre 400 et 1000 euros par an et par famille de caféiculteurs, ont nui à l’entretien des plantations”, et donc à la qualité du café. Un engrenage qui ne semble pas inquiéter les grands groupes comme Lavazza ou Mondelez.
Malheureusement la pratique dominante n’est ni le commerce équitable ni l’agriculture biologique, les groupes de ce type cherchent le profit, ce qui les pousse d’ailleurs à choisir plus souvent du café robusta, bon marché, plutôt que l’arabica, plus savoureux et donc plus cher. Couplé à cette vérité, le commerce équitable, lui-même, a également fait l’objet de quelques critiques.
En 2013, le journaliste Donatien Lemaitre a enquêté sur “Le business du commerce équitable” lors d’un documentaire disponible en replay sur Arte. On y retrouve Max Havelaar accusé de donner son fameux label à des producteurs de République Dominicaine employant des travailleurs haïtiens sans-papiers. Une scène que le label avait déplorée à l’époque en confirmant néanmoins sa volonté d’améliorer la qualité du café et le cadre de vie de ses producteurs.
Le prix, ce hic
Le café issu du commerce équitable et de l’agriculture biologique est légèrement plus cher que le café dit conventionnel. Un écart de 1 ou 2 euros qui s’explique par le marketing frénétique des grandes chaînes de distribution. Le commerce équitable est devenu un argument pour augmenter les prix de certaines marques de café. Une augmentation souvent provoquée par les supermarchés eux-mêmes.
À choisir entre un café Grand’Mère et un Malongo à quelques centimes de plus, préférez l’équitable Malongo, Altereco ou Lobodis et de nombreuses autres marques de petits producteurs respectant le commerce équitable et la biodiversité. Derrière chaque tasse bue se cache une armée de petites mains humaines nécessaires au Sud producteur et exportateur de café, consommé à 80% par les régions de l’hémisphère nord.
Le café, cette histoire d’Homme et de voyage, est, comme le suggérait l’écrivain Antony Wild en 2009, une “géographie à l’état liquide”* avec des répercussions humaines, écologiques et financières très fortes, il ne faut pas l’oublier.
*Le Café, une sombre histoire, Antony Wild, Belin, 2009.
Rédaction : Dino Tomasi
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