Faut-il continuer à manger de la viande ? Un éleveur bio explique son point de vue en détails

Bernard Devoucoux posant devant ses poulets d'élevage
Faut-il continuer à manger de la viande ? Un éleveur bio explique son point de vue en détails
Par Mathieu Doutreligne publié le
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Bernard Devoucoux, éleveur en agriculture biologique, nous explique pourquoi il mange de la viande. Lors d’un long entretien, il nous parle de la vie, mais aussi de la mort, dont on a de plus en plus peur et qui nous coupe progressivement de la nature.

Nous avons récemment pu interviewer Bernard Devoucoux, agriculteur et éleveur bio en Auvergne. Défenseur de la consommation de viande française, il nous explique en détail ses convictions. Il estime que les gens se coupent de plus en plus de la nature et du vivant. D’une manière générale, nous avons un problème à accepter la mort qui fait partie intégrante de la vie.

Pour introduire certaines questions, nous avons mis en avant quelques commentaires d’internautes. Ces commentaires sont issus du relai sur Facebook de notre article du 25 janvier 2017 : Marre des vidéos à scandale, cet éleveur montre le bien-être des animaux. La publication est disponible ici.

Vous élevez des poulets, des vaches, des brebis, des agneaux. Mangez-vous la viande issue de vos animaux ?

Bien sûr. En tant que producteur de viande, je suis conscient que les animaux qu’on élève sont faits pour l’élevage et serviront à l’alimentation. Ils y sont destinés dès leur naissance. Ce ne sont pas des chiens ou des chats avec lesquels on vit à l’intérieur de la maison. La vocation d’un agriculteur est de nourrir les autres. Je pratique la polyculture élevage et produit également des céréales.

Dans l’univers du bio et de la consommation responsable, beaucoup se tournent vers le végétarisme. Voyez-vous cela comme une mode passagère ou un mouvement de fond ?

Je mange de la viande une fois par jour, le midi. La consommation de viande en France est culturelle. Il faut se souvenir qu’à l’époque des trente glorieuses, l’un des symboles de richesse était d’en manger midi et soir. Au niveau nutritionnel, je pense qu’une bonne ration de protéines par jour est suffisante pour une alimentation équilibrée.

“Écologiquement parlant, c’est plus cohérent de manger du boeuf que du porc.”

Je peux comprendre que les gens veulent réduire leur consommation de viande pour diverses raisons, toutefois, certaines tendances restent paradoxales. Par exemple le fait de manger plus de volailles et de porcs, et moins de moutons et de bovins. Écologiquement parlant il y a une contradiction, car c’est plus cohérent de manger du boeuf que du porc. Les ruminants sont des animaux qui consomment de l’herbe, alors il n’y a pas de conflit avec l’alimentation humaine, parce que notre estomac n’est pas fait pour digérer l’herbe. Les porcs et les volailles, eux, ont un régime alimentaire plus proche de l’homme avec une consommation de soja, maïs, céréales.

Le problème est que les gens ont une image déformée par ce qu’on voit à la télé. La majorité des ruminants ruminent, donc mangent d’abord de l’herbe et du foin. À 95% c’est ce que mangent mes animaux au cours de leur vie. Mes volailles, elles, vont manger de la féverole, des pois, du maïs, du triticale, c’est-à-dire des aliments qui pourraient servir directement à la consommation humaine.

En ce moment, le bien-être animal fait couler beaucoup d’encre. Beaucoup de nos internautes dénoncent la maltraitance des animaux pendant l’élevage et/ou l’abattage. Ils sont nombreux à se faire des idées via des vidéos en caméra cachée qui tournent sur internet. Qu’en pensez-vous ?

Si vous regardez le journal télé, vous ne verrez que des voitures ou des camions écrasés contre des arbres, tombés des ponts. Vous ne voyez jamais la réalité, les voitures qui roulent sans accident. C’est pareil pour les vidéos dans les abattoirs. Elles n’ont d’intérêt à être publiées sur internet que quand ça s’est mal passé. C’est d’ailleurs le vrai problème à résoudre, le manquement au bien-être dû à l’industrialisation de la mise à mort.

“Le manquement au bien-être dû à l’industrialisation de la mise à mort est le vrai problème à résoudre.”

Les services vétérinaires sont présents aujourd’hui dans tous les abattoirs et devraient assurer le respect des conditions d’abattage en étant mandatés par le ministère. Plutôt que des caméras qui amènent des images en dehors de leur contexte, je souhaiterais que tous les services vétérinaires, qui aujourd’hui ne sont préoccupés que par le côté bactériologique, aient les moyens de contrôler les conditions d’abattage dans le respect des animaux et des cadences. Ce serait un vrai progrès.

Eli : C'est sûr que chouchouter les animaux avant de les emmener à l'abattoir, ça change vraiment la donne... "Ben oui on tue, on dépèce des millions de vaches. Mais on leur fait des petits câlins avant quand même, on n'est pas des monstres !" Ben voyons.
Jonathan : Ce n'est pas le travail des agriculteurs que ces vidéos choquent critiques, mais la fin tragique de ces pauvres bêtes. Bien ou mal traité cela reste la même chose au final.

Vanessa : Les gens n’ont toujours pas compris où est le problème : LA MORT ! c’est la mort le problème.

Certains internautes parlent du meurtre d'innocents en parlant du fait de tuer un animal pour se nourrir. Quel est votre avis ?

Il y a un problème général avec la mort dans nos sociétés occidentales. On cache la mort des animaux, mais aussi des humains. On ne refuse pas la mort en soit, on refuse de la voir. Il suffit d’ouvrir les grands médias et on ne voit que des gens beaux et en bonne santé. On ne verra jamais les gens en train de mourir. Connaître la vie c’est accepter la mort, alors si on a pas envie de manger de la viande, on n’en mange pas, mais si on décide d’en manger  on sait ce que cela implique.

“Connaître la vie, c’est accepter la mort.”

Je vois dans la réaction de vos internautes des histoires d’amour, de câlins, on est dans des réactions avec l’animal que je ne comprends pas en tant qu’éleveur. Les animaux d’élevage ne sont pas des animaux de compagnie.

Les éleveurs respectent leurs animaux, au moment de l’élevage, tout au long de leurs vies pour qu’ils soient en bonne santé. Ce qui est important, c’est surtout le respect au moment de la mise à mort et forcément quand vous tuez une vache à la minute, rien ne va plus. Il y a une industrialisation de la mort dans les grands abattoirs qui n’est pas cohérente avec un réel respect de l’animal. Je suis pour que les professionnels soient formés à des conditions d’abattage propre, sans travail à la chaîne. Le respect de la mise à mort est le maître mot.

> Article lié : La cadence industrielle des abattoirs est-elle compatible avec le bien-être animal ?

Si on refuse la mort, on oublie que la nôtre est prédéterminée. Nous qui vivons dans une ferme, on côtoie la vie et la mort tous les jours. Dans nos sociétés, la mort et la naissance sont complètement médicalisées, surtout la mort d’ailleurs. Ici la mort et la vie sont nos quotidiens et refuser la mort, c’est faire preuve d'hypocrisie ou d’un manque de compréhension de la vie.

L’être humain a si peur de la mort et souhaite vivre tellement longtemps qu’il a inventé l’acharnement thérapeutique pour rester en vie presque à n’importe quel prix. Pour les personnes âgées, il a également imaginé des maisons de retraite que certains qualifient de maisons d’isolement. L’homme a peur de la mort. Elle l’effraye, le terrifie. Mais connaît-il vraiment la vie ?

La mort fait partie du cycle de la vie. Nos sociétés se sont déreligionnisée et l’un des avantages des religions était de donner une perspective à la mort. Selon moi, connaître la vie, c’est accepter la mort. Le fait de vivre sans religion nous coupe de la mort, alors elle nous fait de plus en plus peur.

“L’homme est là pour donner la vie, pas pour la garder éternellement. Il devrait être plus humble face à son passage sur terre.”

Aujourd’hui certains médecins tentent de nous rendre immortels. On est déjà sept milliards sur terre, vous imaginez si on devenait tous immortels ? C’est trop égocentrique. Nous sommes là pour donner la vie, pas pour la garder éternellement. L’homme devrait être plus humble face à son passage sur terre. Comme notre société est très individualiste, nous avons du mal avec ces questions. Il faudrait une conscience plus collective.

Et les animaux dans tout cela ?

On voit dans les réflexions des internautes qu’il y a beaucoup d’anthropomorphisme avec les animaux domestiques (tendance à accorder des qualités humaines aux animaux, ndlr). Quand on voit des animaux avec des pulls, des petites chaussures, c’est hallucinant ! Les gens ne se posent pas la question de savoir si c’est bon pour un chien d’être shampouiné, parfumé. Je pense que c’est catastrophique pour lui. Pour la plupart des gens c’est du soin, du bien-être, pour moi c’est simplement un exemple d’anthropomorphisme. Ils ne cherchent pas à faire plaisir aux animaux, mais à eux même. Les animaux n’ont pas besoin de tout ça. Un chien n’a pas besoin d’avoir sa petite couverture.

Les animaux ne sont donc pas à inclure dans le confort de la vie moderne que l’homme a créé ?

En ce moment, on voit bien que les animaux sont faits pour vivre dehors. Prenons l’exemple des ruminants (bovins ou ovins, ndlr). Les gens me demandent souvent s’ils ont froid, s’il ne faut pas leur mettre des couvertures. Poser ce genre de question c’est mal les connaître. Non, le froid ne leur pose aucun problème. En fait ce sont des ruminants et la digestion par rumination sécrète beaucoup d’énergie et de chaleur. Par contre quand il faut 35-40°C l’été, personne ne vient nous parler de la santé de nos animaux, alors qu’ils souffrent beaucoup plus de la chaleur.

Encore une fois, les gens font beaucoup d’anthropomorphisme et réagissent par rapport à eux sans même se poser la question de connaître les besoins de l’animal. Lors d’une période de grand froid, une vache ne va pas souffrir, elle va simplement manger plus. Elle peut manger 25 à 30% de plus que d’habitude. Par -10°C dehors, si vous lui donner le choix, sauf s’il pleut, entre être à l’abri du vent dans les bois plutôt qu’être dans un bâtiment, elle va être dehors. En plus il y a la promiscuité à l’intérieur, dehors les animaux aiment avoir de l’espace.

Certains imaginent un avenir domestique aux actuels animaux d’élevage. Vous imaginez-vous avec une vache domestiquée ?

On peut tout apprivoiser : des chèvres, des moutons, des vaches, des lapins, des cochons. Le cochon s’apprivoise très bien même. Il y a déjà beaucoup de diversité dans les animaux domestiques avec les NAC (Nouveaux Animaux de Compagnie, ndlr) comme les serpents, les reptiles. À une époque, les lapins étaient à la mode dans les familles. Après, je comprends que les gens qui ont trois poules n’ont pas envie de les manger, parce qu’ils ont une relation particulière avec.

Nous sommes agriculteurs. On sait qu’au départ on élève nos animaux pour nourrir les autres. Avoir un animal de compagnie c’est possible, en avoir cent c’est impossible. Si vous avez cent chats ou cent chiens, le rapport avec eux sera complètement différent. Les chiens seront en meute, auront leur hiérarchie et vous serez marginal dans leur relation. Le maître à un substitut de chef de meute lorsqu’un chien vit seul dans une maison. La nature ne l’a pas conçu pour vivre individuellement dans un appartement au quatrième étage.

Jane : Comment peut-on parler d'amour quand on élève dans l'unique but de tuer. Ça me dépasse. Ça en dit long sur la sincérité des sentiments de certains humains.

L’unique but d’un éleveur est-il de tuer des animaux pour gagner sa vie ?

Le but premier de l’agriculture est de nourrir la population. Directement et indirectement, il s’adapte à la demande des consommateurs et à l’évolution de la société.

Revenons sur l’alimentation. Entre bio, local, éthique, etc, quelles sont vos convictions ?

Je mange ma propre viande, je récupère ma farine chez mon meunier, en ce moment je cuisine beaucoup de brocolis et de choux verts. Je suis d’abord un défenseur du bio local. Après, si je veux manger des oranges ou des bananes c’est un peu plus compliqué. J’en achète en bio au marché, mais peu. On reste une société d’échanges, on peut consommer des fruits ou des légumes qui viennent d’ailleurs, il ne faut pas être extrême. Par contre, je ferais des remarques si vous incitez à manger des haricots verts en hiver, car ce n’est pas la saison. Si on veut manger bio et local, il faut attendre le mois de juin pour en consommer.

Au village on a également la chance d’avoir des gens d’origine espagnole avec qui on organise des achats groupés grâce à une coopérative en Andalousie qui produit de l’huile d’olive, des pamplemousses, des citrons, des mandarines. On commande sur internet et les commandes arrivent groupées. C’est biologique et on sait d’où ça vient. Lors de la distribution, chacun repart avec sa cagette et les fruits conservent un mois sans problème quand ils ont été ramassés dans de bonnes conditions.

Du bio, toujours du bio. C’est une bonne chose non ? Même si l’agriculture biologique s’industrialise ?

Il existe des incohérences actuellement dans le bio, notamment la réglementation européenne. Dans le nord de l’Allemagne, par exemple, on peut trouver des fermes biologiques avec 30.000 voir 40.000 poules. La réglementation actuelle ne limite pas la taille des élevages en poules pondeuses. Au niveau de la FNAB ou du SYNALAF, ça fait partie de nos revendications de limiter la taille des élevages au niveau européen, même si on sent qu’il y a une pression pour l’industrialisation de la bio.

L’Europe souhaite réduire la fréquence des contrôles dans les exploitations bio. On continue à en demander un par an. C’est un combat syndical qu’on mène. Dans la filière avicole, il y a de grands industriels dans l’ouest de la France qui ne voient pas les choses de la même manière.

Ce n’est pas une bonne chose de voir les gros exploitants se mettre au bio ?

Non, pas du tout, car on serait en décalage complet avec l’image que se fait le consommateur du bio et ça serait catastrophique pour l’ensemble de l’agriculture biologique. On pourrait réfléchir à un nouveau label général qui serait plus strict. C’est déjà le cas en Allemagne avec Bioland, mais je ne souhaite pas un bio à deux vitesses en France. Il faut maintenir le caractère fermier de l’agriculture biologique.