Quelle est la place de l’animal dans un monde qui s’urbanise ?
Bernard Devoucoux est éleveur en agriculture biologique. Habitant d’un petit village d’Auvergne, il observe le monde moderne qui s’urbanise en se coupant progressivement de la nature, des arbres, des plantes, des animaux, alors que tous sont indispensables au grand le cycle de la vie.
Le monde s’urbanise. Le silence, l’espace et l’air pur sont devenus des biens précieux. Pensez-vous que l’homme a tendance à se rapprocher de la nature ou à s’en éloigner ? Se couper de la nature est-ce se couper de la vie ?
En ville, les hommes vivent dans des milieux de plus en plus artificiels. Ils habitent dans des appartements bétonnés, loin de la vie. Même l’animal est très peu présent dans le monde urbain ou alors il est complètement humanisé. Il y a des efforts, je pense aux fermes pédagogiques, aux abeilles sur les toits ou a plein de bonnes idées, mais aucune ne va assez loin. Il faudrait moins de béton, moins de goudron, remettre les plantes et les animaux en avant pour que les urbains les voient plus au quotidien. Il y a des travaux d’architectes vraiment intéressants là-dessus.
“En ville, les hommes habitent loin de la vie. L’animal est très peu présent ou alors il est complètement humanisé.”
Si on se coupe de la nature, on se coupe de la vie, mais aussi de la mort qui lui est associée. On voit bien que les rituels autour de la mort dans la société urbaine disparaissent de plus en plus, c’est le cas pour les enterrements. En ville la mort n’existe plus, c’est la grande absente. Elle reste associée à la morphine de l'hôpital. Avant, à la campagne, lors d’un décès, on recevait la famille et l’entourage à la maison avec le mort dans la chambre. Maintenant il y a les pompes funèbres, mais on continue de recevoir les gens après l’enterrement pour parler du mort. J’habite dans un village de 1000 habitants. Quand une personne décède, il y a 200-300 personnes qui vont l’accompagner.
Il y a un réel débat autour de la place de l’animal et de l’acceptation de la mort. Philosopher c’est apprendre à mourir disait Montaigne. Pensez-vous que les animaux sont de grands penseurs et ont peur de la mort ?
Les animaux savent réfléchir mais pas philosopher, leurs préoccupations principales restent primaires. Il ne faut pas tomber dans l’anthropomorphisme. Le comportement animal n’a rien à voir avec celui humain, car l’environnement dans lequel vivent les animaux n’est pas un monde de bisounours. En zone urbaine, l’homme a éloigné les grands prédateurs et plus rien ne l’effraie dans la nature. À la campagne, c’est différent pour les animaux. Le rôle de certains est de manger les autres pour différentes raisons. Soit pour débarrasser les plus faibles ou par concurrence alimentaire.
On s’est déjà fait dévorer des brebis et égorger des agneaux par des chiens loups à la ferme. Ce n’est pas beau à voir. Si vous avez un poulailler, vous savez que les poulets différents des autres se font piquer, attaquer. Dans un troupeau de vaches, vous avez une hiérarchie. Si la plus faible va manger à la place de la plus forte, elle va se faire prendre à partie.
Si on souhaite un monde plus “bio”, quelle place les animaux doivent-ils avoir ? Sont-ils dissociables des plantes ?
“Organic farming”, “agricultura biológica”, l’agriculture biologique à travers le monde n’est pas que végétale, au contraire. L’animal y a une place centrale. Quand vous écoutez les grands initiateurs du mouvement comme Howard ou Rush à la fin du XIXe, ils définissent l’agriculture organique comme un circuit complexe qui fait intervenir l’herbe, les plantes, les animaux, les arbres. Dans le cycle de la nature, l’animal est présent au même titre que la plante. Sans lui, la boucle ne peut pas être bouclée.
On pourrait parler de la moisson des céréales dans un champ, c’est un génocide d’insectes terrible vous savez. Les gens sont concentrés sur les animaux, sur le bien-être, la souffrance, mais les plantes aussi meurent et vivent. Dans la nature, la mort est présente au même titre que la vie.