Dans son potager, le prince jardinier cultive 700 variétés de tomates pour favoriser la diversité

Louis-Albert de Broglie dans son potager
Dans son potager, le prince jardinier cultive 700 variétés de tomate pour favoriser la diversité
Par Mathieu Doutreligne publié le
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Fervent défenseur de la nature, Louis Albert de Broglie est devenu au fil du temps le prince jardinier, multipliant les initiatives en faveur de l'environnement pour que la nature retrouve toute sa place. Nous l’avons rencontré le 7 avril dernier lors de La Bio dans les Étoiles.

En 1992 Louis-Albert de Broglie rachète le Château-hôtel de la Bourdaisière, situé en Touraine, dont il fait un laboratoire et un lieu d’expérimentation de ses convictions naissantes. En 1996, il y crée le Conservatoire national de la Tomate (agréé par le Conservatoire des Collections végétales spécialisées) qui cultive aujourd’hui plus de 670 variétés de tomates. En 2013, celui qu’on nomme le prince jardinier lance l’association Ferme d’Avenir avec Maxime de Rostolan, un projet de micro ferme expérimentale en agroécologie inspirée par la permaculture.

Bio à la Une : Vous avez créé le Conservatoire national de la Tomate où on y cultive plus de 670 variétés différentes. Avez-vous atteint le maximum de variétés cultivables ?

Louis-Albert de Broglie : Cette année on va même en avoir 700, mais il existe plus de 10.000 variétés de tomate et toutes les cultiver au sein du même endroit est impossible. Le sujet n’est de toutes façons pas la quantité, mais bien une démonstration de ce qu’est la diversité végétale.

“Le sujet n’est pas la quantité, mais bien une démonstration de ce qu’est la diversité végétale.”

J’ai commencé par curiosité il y a 25 ans. Deux intérêts m’animaient : la notion distrayante d’une diversité organoleptique différente, colorée et de qualité, ainsi que la notion d’indépendance alimentaire des territoires, très ancrée en moi.

“Le sujet n’est pas la quantité, mais bien une démonstration de ce qu’est la diversité végétale.”

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce fabuleux conservatoire ?

J’ai acheté cette propriété en Touraine, qui s’appelle le Château de la Bourdaisière, où j’ai créé le Conservatoire de la tomate. Les variétés de graines ont été achetées à Dominique Guillet (créateur de Kokopeli), Philippe Desbrosses (fondateur de la Ferme de Sainte Marthe) et d’autres dans le monde. J’ai découvert que la diversité végétale été méconnue, notamment dans le cas de la tomate. Au début, les entreprises productrices de graines pensaient que mes fruits étaient trafiqués. Depuis plusieurs générations, les grands groupes ont tendance à vouloir breveter le vivant et vendent des graines sans connaître le monde dans lequel elles évoluent. Ce monopole est une ineptie et une atteinte à la liberté de tous.

Avez-vous une tomate préférée ?

Oui, comme tout le monde. J’adore la verna orange.

Selon vous, la diversité est-elle un signe de richesse ?

Avant tout, cette diversité est pour nous un enseignement. Elle existait depuis des décennies et personne ne s’y intéressait. C’est justement en s’y intéressant qu’on a découvert à quel point ce fruit était exceptionnel. Voilà un bel exemple de ce qu’est la diversité végétale au service de la santé.

Il faut la préserver. À notre échelle on fait pousser des tomates. On les récolte pour ensuite partager les graines à la ferme Saint Marthe ou à l’association Kokopeli afin que le combat continue.

Choisir ce que l’on mange, est-ce réellement choisir le monde de demain ?

La réponse est oui, évidemment, mais je dirais que c’est par la prise de conscience des effets négatifs d’une mauvaise alimentation que le contenu de notre assiette est devenu aujourd’hui un vrai sujet de débat sur les réseaux sociaux ou auprès des politiques. Les gens comprennent qu’ils peuvent être acteurs de ce sujet d’intérêt général qu’est la capacité à recréer des micro-fermes pour une alimentation saine, de proximité. Cette alimentation de qualité est une réponse à nos besoins vitaux, mais aussi aux enjeux de territoire liés à des variétés locales qu’on a oublié ou qu’on ne connaît pas encore.

Le jardinage est de plus en plus vu comme un acte politique. Plus on jardine et plus on est engagé en quelque sorte ?

Pour moi, ce n’est pas le jardinage qui est un acte politique, mais l’acte de planter un verger ou un potager, chez soi ou en ville. Le vieux principe “dis-moi ce que tu manges je te dirais qui tu es” fait encore une fois référence à une notion de diversité. Je milite pour l’autonomie structurée des territoires autour de différents acteurs pour l’intérêt général.

L'émergence de micro-fermes est le moyen d’amener des jardiniers amateurs à devenir des maraîchers qui vont partager leur production et leur savoir autour d’externalités positives. C’est l’essentiel du combat de Ferme d’Avenir en plus d’être un enjeu majeur pour expliquer la diversité et son formidable impact agronomique sur l’écologie des sols, la santé humaine, l’éducation, l’emploi et l’économie territoriale. Le micro-maraîchage est une activité qui regroupe toutes les sphères de la société, partout dans le monde.

Qu’est-ce qui vous rebute le plus dans l’agriculture chimique, actuellement dominante ? Le brevetage du vivant plus que la pollution ?

Je la redoute dans son ensemble et ce que je redoute le plus c’est la monopensée. Le fait qu’on ait fait des erreurs et que les agriculteurs ne soient pas les responsables de cette pollution qui dure depuis 60 ans. Une pollution qui a eu un impact négatif sur l’environnement, la santé humaine, l’emploi, les territoires, le paysage. La société et les politiques doivent admettre qu’il faut faire évoluer l’agriculture et créer un nouveau pacte avec la nature. Un message que nous mettons en oeuvre au quotidien avec les tomates et leur diversité.

Comment créer le mieux possible une rupture avec le modèle existant qui travaille contre la nature ?

Fondamentalement il faut repenser le modèle alimentaire, parce que c’est le seul qui nous rassemble trois fois par jour autour d’une table. C’est celui dont l’impact est mesurable sur la santé, la destruction des sols, la qualité de vie et l’économie. De plus, il faut rendre simple l’accès à l’information. Si vous voulez être en bonne santé, nourrissez-vous mieux ! Contrairement à ce qu’on pense, ce n’est pas très compliqué, sauf si on habite en ville.

“On nous explique depuis 50 ans qu’il faut concentrer les gens dans les villes pour que les services coûtent moins cher. Ce n’est pas totalement vrai, c’est même de plus en plus faux.”

C’est un vrai sujet de savoir comment rendre accessible une nourriture de qualité en ville. Le problème est politique. Pourquoi avoir choisi l’urbanisation étant donné qu’il y a moins de boulot ? On a compris que ce n’était pas que la concentration qui répondait le mieux à toutes les problématiques d’accès aux soins, à l’information, à la culture et ainsi de suite. Maintenant, même au fin fond de la Corrèze vous avez internet. Vous avez accès à l’information dans un environnement non pollué. D’un coup d’écomobilité vous pouvez aller voir votre cousine germaine dans la ville la plus proche ou dans le pays le plus éloigné. La vraie question est de savoir à quoi sert cette hypraconcentration, car c’est avant tout une option politique. On nous explique depuis 50 ans qu’il faut concentrer les gens dans les villes pour que les services coûtent moins cher. Ce n’est pas totalement vrai, c’est même de plus en plus faux.

Sur l’ensemble des systèmes alternatifs agricoles existants, quel est celui auquel vous accordez le plus de crédit ?

Il n’y a pas un modèle agricole idéal, une monoagriculture, mais une polyagriculture adaptée à un territoire. L’agroécologie, ou le modèle permacole est un modèle qui défend le vivant en s’adaptant par définition aux conditions pédoclimatiques, aux variétés qui sont les plus représentatives ou les plus identitaires du territoire. Il n’y a donc pas de pensée unique.