Sans existence légale, le métier d'herboriste espère une renaissance
Fin août, 55 des étudiants venus d'horizons différents ont entamé à Plounéour-Menez une formation de deux ans à l’École bretonne d'herboristerie (EBH) pour se préparer à un métier sans existence légale qu'ils espèrent à nouveau voir reconnu par l’État.
"Oui, les écoles font le plein. On est face à une vraie tendance sociétale, qu'il s'agisse de consommation ou de formation, en particulier de jeunes qui veulent donner du sens à leur travail", constate le sénateur du Morbihan Joël Labbé, rapporteur d'une mission d'information sur le développement de l'herboristerie et des plantes médicinales qui présentera ses conclusions mercredi prochain. "Aujourd'hui, 80 % des plantes vendues en France sont importées alors que nous avons en France métropolitaine et en outre-mer un patrimoine exceptionnel", regrette le sénateur écologiste.
Un retour au naturel
Le métier et le diplôme d'herboriste ont été supprimés sous Vichy en 1941. Depuis, seuls les pharmaciens en officine sont autorisés à vendre des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée (562 en France), à l'exception d'une liste de 148 fixée par un décret de 2008, rappelle M. Labbé. Infirmière-puéricultrice à l'origine, devenu formatrice à l'EBH, Marie-Jo Foures n'a cessé elle-même de se former depuis une trentaine d'années dans la connaissance des plantes. L'essor de cette filière s'inscrit également, estime-t-elle, dans le besoin de "retour au naturel" qui caractérise une partie des jeunes générations. Mais la situation actuelle place fréquemment les herboristes à la limite de la légalité. "On ne peut pas conseiller, on doit s'en tenir aux 148 plantes... Si on avait une reconnaissance, ça permettrait de développer tout le circuit, ça donnerait un élan, une impulsion à toute la filière. Si le métier était réhabilité, il y aurait une herboristerie dans chaque village", s'enthousiasme celle qui cultive dans son jardin toutes les plantes aromatiques et médicinales étudiées à l'école.
Réunies au sein de la Fédération française des écoles d'herboristerie (FFEH), cinq écoles travaillent à "la mise en place d'un tronc commun de formation" avec l'espoir d'une réhabilitation de l'herboristerie en France, où la législation est beaucoup plus stricte que dans les pays voisins, assure Marie-Jo Foures.
"Demande croissante"
Une formation diplômante permettrait "d'officialiser ou d'encadrer une réalité de fait et de répondre à une demande croissante de la société civile", a fait valoir en écho, devant la commission sénatoriale dont les auditions qui se sont déroulées depuis le printemps étaient publiques, Agnès Le Men, directrice du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles (CNPMAI) de Milly-la-Forêt (Essonne).
Depuis 2010, la production a progressé de plus de 40 % en France où environ 120 espèces sont cultivées, a précisé devant la commission le représentant de France Agrimer en charge de ce secteur, Claude Chailan. "12 % de la production" l'est en agriculture biologique mais cette dernière production est insuffisante, même si les producteurs proposent plus de 1.500 produits, "témoignant d'une réelle diversification de l'offre de la filière", a-t-il souligné.
La France importe 18.000 tonnes de plantes, principalement depuis la Chine et l'Inde, a expliqué devant les sénateurs Pierre Champy, professeur de pharmacognosie à l'université Paris-Sud. Concernant les produits accessibles par internet, "la situation est catastrophique avec 30 à 50 % des produits de mauvaise qualité, avec des molécules interdites ou jamais évaluées", a-t-il dit. Selon lui, le monopole pharmaceutique a été "institué pour des raisons sanitaires et non économiques", certaines de ces plantes présentant une "forte toxicité".
"Si la loi changeait, ça permettrait d'avoir accès à davantage de plantes que beaucoup de pharmaciens n'utilisent pas, ça nous permettrait de faire un vrai conseil", plaide Laurence Keunebrock qui a ouvert il y a cinq ans "L'herberie des simples" à Fouesnant (Finistère). N'exerçant pas en officine où elle a pourtant travaillé pendant 20 ans, elle doit se limiter aux 148 plantes du décret de 2008, bien qu'étant pharmacienne diplômée. "J'ai fait un vrai choix (...) Avec le recul, ce n'est pas le même métier", dit-elle.
Pour Joël Labbé, "reconnaître le métier d'herboriste et fixer un cadre pour sa formation, c'est occuper tout un terrain qui n'est pas balisé aujourd'hui". Le sénateur espère "un vaste débat public dont vont s'emparer les citoyens".