Huile de palme : le bras de fer entre l'UE et l'Asie du Sud-Est
L'huile de palme, un dossier chaud entre l'Indonésie, la Malaisie et l'Union européenne, est devenu brûlant après la publication en mars d'un texte réglementaire européen qui a poussé les deux principaux pays producteurs à menacer l'UE d'une guerre commerciale.
Le texte, qui a pour effet de classer l'huile de palme dans les biocarburants non durables à cause de son effet sur la déforestation, a fait monter la tension d'un cran. Ces deux grands pays exportateurs craignent de voir leurs débouchés se restreindre après une chute de 15 % du cours de cette matière première l'an dernier. L'Indonésie veut porter l'affaire devant l'Organisation mondiale du commerce si le texte entre en vigueur. La Malaisie brandit, elle, la menace de rétorsions commerciales et se dit prête à acheter des armements ailleurs qu'en Europe."C'est un traitement inéquitable (...) qui pourrait affecter les bonnes relations entre l'Union européenne et l'Indonésie", s'est insurgé Darmin Nasution, ministre indonésien chargé de coordonner les affaires économiques au cours d'une conférence de presse la semaine dernière.
"L'Indonésie est prête à porter cela devant l'OMC (...) nous ne voulons pas être traités comme ça", a-t-il averti.
Un contrat d'armement en jeu
Le Premier ministre malaisien, Mahathir Mohamad, a prévenu dimanche : si les Européens "continuent à agir contre nous, nous allons réfléchir à acheter des chasseurs en Chine ou dans un autre pays". La Malaisie est courtisée pour un contrat visant à remplacer sa flotte russe vieillissante de Mig-29 par des Rafale français ou des Typhoon du consortium européen Eurofighter. Jakarta et Kuala Lumpur considèrent l'huile de palme comme stratégique car elle apporte beaucoup de devises et est dominée de puissants conglomérats. Les deux pays soulignent aussi que le secteur a permis de sortir de la pauvreté des millions d'agriculteurs. Mais l'huile de palme est montrée du doigt par les défenseurs de l'environnement pour la déforestation qu'elle entraîne, vue comme l'une des plus grandes menaces pour la biodiversité tropicale, et notamment les orangs-outans.
L'Union européenne souligne de son côté que l'huile de palme contribue fortement au changement climatique par les émissions de gaz à effet de serre induites. Par conséquent, elle juge que le biocarburant à base d'huile de palme ne peut pas être pris en compte pour les objectifs que s'est fixée l'Europe en terme d'utilisation des énergies renouvelables. "L'idée est d'éviter que l'UE consomme des biocarburants dont la production aura généré plus de gaz à effet de serre que l'utilisation d'énergie fossile", souligne Vincent Guérend, ambassadeur de l'Union européenne en Indonésie dans un entretien à l'AFP. L'Indonésie "s'est efforcée de réduire les émissions de dioxyde de carbone, de protéger les orangs-outans, mais les Indonésiens sont importants aussi", objecte Luhut Panjaitan, ministre chargé de coordonner les affaires maritimes. Signe de bonne volonté, l'Indonésie a décrété en 2018 un moratoire de trois ans sur le développement de toute nouvelle plantation de palmiers à huile.
Intense lobbying
Les deux pays avaient déjà enclenché un intense lobbying l'an dernier contre une directive européenne qui recommande, dans le cadre des objectifs de l'UE en matière d'énergie renouvelable, de réduire l'utilisation de l'huile de palme dans les biocarburants européens pour atteindre zéro d'ici 2030.
Le nouveau texte réglementaire, un acte délégué adopté par le collège des commissaires le 13 mars, est encore soumis à l'examen du Parlement européen et des pays. Si après deux mois ils ne formulent aucune objection, le texte entrera en vigueur.
L'Indonésie et la Malaisie crient à la discrimination et dénoncent une nouvelle "barrière protectionniste" destinée à avantager les producteurs européens de biocarburants.
"S'il y a un différent commercial, il doit effectivement être porté devant l'OMC", note Vincent Guérend.
Jakarta a laissé entendre qu'elle pourrait suspendre les négociations en cours sur un accord de libre échange avec l'Union européenne.
Interrogé sur une potentielle guerre commerciale, l'ambassadeur européen minimise ce risque : "pas du point de vue de l'Union européenne, ce n'est pas l'UE qui la déclenchera".
L'UE rappelle que sa politique ne vise pas à interdire les importations d'huile de palme, qui reste largement utilisée dans l'alimentation et les cosmétiques.
L'Union européenne est le deuxième plus important importateur d'huile de palme brute. Et la moitié de ses importations, quelque 4 millions de tonnes, sont utilisées pour les biocarburants.
Photo : © JANUAR - AFP/Archives