Tondre sa pelouse : un crime contre la biodiversité

Tondre sa pelouse : un crime contre la biodiversité
Tondre sa pelouse : un crime contre la biodiversité
Par La rédaction publié le
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Le principal argument en faveur d'une pelouse bien tondue est d'ordre esthétique. Les gens veulent que leur jardin fasse propre, cela implique un gazon bien taillé. Éric Lenoir, paysagiste et auteur du livre Petit traité du jardin punk, milite contre cette logique et développe son concept écolo et rebelle.

À travers son ouvrage, l’auteur fait un appel à la raison : pour favoriser la biodiversité dans votre jardin, il faut arrêter de tondre frénétiquement votre pelouse. C’est un geste anti-écolo, mais également une perte de temps et d’argent.

En moyenne, les Français possédant un jardin consacrent deux heures par semaines à tondre leur pelouse. Et si à la place de faire des aller-retour dans votre jardin le dimanche, vous invitiez vos amis pour un apéro ? Arrêter de tondre sa pelouse n’a pas que des avantages économiques ou temporels, la (re)pousse des fleurs et des plantes sauvages engendre un retour de la vie dans les jardins. Laissez l’herbe pousser pour que vivent des papillons et des coccinelles. Laissez des tas de branches ou de feuilles pour que des hérissons viennent y trouver un refuge.

À l’occasion de la sortie de son livre aux éditions Terre Vivante, nous nous sommes entretenu avec Éric qui nous parle de cette pratique radicale : apprendre à désapprendre.

Bio à la Une : Est-ce écologique de tondre régulièrement sa pelouse ?

À l’occasion de la sortie de son livre aux éditions Terre Vivante, nous nous sommes entretenu avec Éric qui nous parle de cette pratique radicale : apprendre à désapprendre.

“Il faut s’interroger sur ce qu’est une prairie par rapport à une pelouse tondue. Il y a un monde entre les deux.”

Pourquoi ne pas tondre ? La raison est simple. Il faut s’interroger sur ce qu’est une prairie par rapport à une pelouse tondue. Il y a un monde entre les deux.

Quelle est la différence entre les deux ?

Une prairie, c’est un gazon que vous avez laissé pousser, dans laquelle vous acceptez ce que dans une pelouse on appelle les mauvaises herbes. Vous y obtenez un endroit plus ombragé, un véritable filtre à brume, un havre de biodiversité. La rosée d’une pelouse tondue n’est pas du tout la même que celle avec des hautes herbes. Quand arrive l’été par exemple, le dessèchement va arriver deux fois plus vite, la pelouse va s’abimer, le sol va éventuellement craqueler. L’endroit est beaucoup plus vulnérable aux fortes chaleurs.

Exemple de prairie dans laquelle la biodiversité est luxuriante

Dans une prairie, vous amenez naturellement une multitude d’espèces, que ce soit végétales ou animales. La faune et la flore vont réapparaître de façon plus abondante. Par conséquent, vous avez des plantes aux systèmes racinaires différents. Comme elles ont tendance à être complémentaires, elles peuvent agir de manière collaborative. Des échanges se font entre les unes et les autres. Globalement vous obtenez plus de résilience.

“Sur une pelouse coupée à ras, on constate une raréfaction des espèces de tous genres. La biodiversité baisse énormément.”

À l’opposé, un espace tondu est une sorte de crime contre la biodiversité...

C’est l’idée en effet. Sur une pelouse coupée à ras, on constate une raréfaction des espèces de tous genres. La biodiversité baisse énormément. Dans le règne végétal, peu de plantes apprécient d’être tondues régulièrement. D’un point de vue écologique c’est une mauvaise pratique. Essayez de trouver des mantes religieuses dans un gazon tondu, vous pouvez toujours courir. Par contre, si vous laissez à la nature 1000m² de pelouse, cet insecte bio-indicateur va réapparaître si vous êtes dans son aire de répartition géographique.

Comment êtes-vous arrivé à ces conclusions ?

C’est l’observation de terrain qui me fait dire ça, en plus de la documentation de plus en plus abondante qu’on trouve sur le fonctionnement d’un système prairial.

“Une pelouse haute est utile pour tout le monde tout au long de l’année tant qu’elle ne nuit pas aux fonctionnalités du jardin, c’est important de le préciser.”

Les avantages de la pelouse haute sont donc visibles lors d’épisode de chaleur.

Pas uniquement. Même si c’est léger, le ruissellement de l’eau de surface est freiné, ce qui limite l’érosion. Les alluvions peuvent être plus facilement piégées. De plus, la couverture du sol va le rendre un peu moins sensible au gel. Une pelouse haute est utile pour tout le monde tout au long de l’année tant qu’elle ne nuit pas aux fonctionnalités du jardin, c’est important de le préciser.

Pour résumer, votre conseil punk est-il de laisser son jardin complètement libre ?

Ne plus tondre la pelouse ne signifie pas pour autant ne plus l’entretenir. Attention à rester dans le contrôle des végétaux ligneux pionniers.

Si vous ne coupez pas les végétaux ligneux - c'est-à-dircertae qui produisent du bois - apparaissant sur un terrain nu, vous vous retrouverez très vraisemblablement avec des ronces, des frênes, des érables ou des bouleaux qui peuvent prendre le dessus. Alors la prairie se transforme en petit bois. C’est un choix à assumer.

Quoi qu’il en soit, le jardin reste un espace artificialisé habité par l’humain. Il doit répondre à certains besoins, aller d’un point A à un point B, produire des fruits, cultiver un potager, faire pousser des fleurs, etc. L’idée du jardin punk n’est pas de rendre l’endroit impraticable, mais de voir où on peut se permettre de le laisser sauvage.

“Ne plus tondre la pelouse ne signifie pas pour autant ne plus l’entretenir.”

Certaines personnes ont le sentiment que je les culpabilise quand elles tondent. Non. Simplement, si elles peuvent éviter là où ils n’en ont pas besoin, c’est quand même vachement mieux.

Historique, d’où vient cette “étrange idée” de tondre l’herbe régulièrement ?

Les humains n’aiment pas les hautes herbes, elles lui font peur. Dans un premier temps, le jardin a été créé dans le but de se protéger de la nature, des animaux sauvages, mais aussi du vent, du froid… On a créé un clos ultra protégé. Après l’espace a été embelli, là c’est autre chose.

Pour en revenir à la tonte, jadis on entretenait un endroit fonctionnel en fauchant. La faux est un outil ancestral quand la tondeuse est apparue récemment. Les gens avaient également du bétail qui venait paitre. Il faut imaginer que dans les grandes pelouses des jardins de Versailles, on fauchait dans certains cas, mais on mettait aussi les moutons de Marie-Antoinette pour venir brouter. Quoi de plus naturel ?

Jadis, l'herbe était coupé à la faux

Au fil du temps, avoir une pelouse tondue est devenu un signe de propreté. Il faudrait donc changer notre rapport à la beauté ?

Dans la tête des gens, une pelouse ça se tond. Point. Un massif de plantes ça se désherbe. Point. Un arbre ça se taille. Point. Voilà ce qui me pose problème, le fait que ce soit un atavisme et pas autre chose. On fait ceci ou cela, car il faut le faire, sans même savoir pourquoi. Dans l’inconscient collectif, on a l’impression qu’un pavillon en banlieue avec un saule et de l’herbe tondue autour c’est joli. Personne ne semble s’interroger pour savoir si ça l’est réellement ou pas.

Non, non et non. Ces habitudes bien ancrées ne sont pas des obligations, surtout si on souhaite préserver la biodiversité et ne pas polluer l’environnement. Les arbres dans la nature n’ont pas besoin d’être taillés. Les prairies naturelles se portent bien à partir du moment où il y a des animaux pour venir brouter les végétaux pionniers.

Qu’y a-t-il d’autre à corriger au jardin ?

Plein de choses. Nécessité fait loi. L’arrosage est un autre bon exemple de fausse bonne idée. Dans le jardin expérimental que j’ai créé, le Flérial, je n’arrose pas.

“Je crois qu’on est dans un contexte écologique tel qu’il faut absolument redéfinir les nécessités.”

Je crois qu’on est dans un contexte écologique tel qu’il faut absolument redéfinir les nécessités. La première des nécessités étant de préserver les ressources quelles qu’elles soient. La biodiversité en est une. Il y a tellement de choses à revoir…

Une partie des gens a déjà compris où se situe la vraie nécessité, que leur petit rôle local est utile. Plus on sera nombreux à le faire, plus l’effet sera visible. Un esprit de cohésion, qui n’existait pas avant, est en train de naître, or le facteur social est loin d’être anodin.

Vous défendez ce que vous appelez le jardin punk. Comment définissez-vous ce concept que vous avez créé ?

Le principe est de travailler avec une économie totale de moyen, afin de rendre un endroit mieux qu’il ne serait si on n’y faisait rien. C’est-à-dire le faire correspondre à des besoins, mais en l’entretenant un minima, en l’arrosant pas ou peu, en utilisant tout ce qui est disponible sur place, qui va permettre de ne pas dépenser d’argent.

Allée tondue dans le jardin punk d'Éric Lenoir : Le Flérial

À qui est-il destiné ?

À tout le monde, tout simplement. Chacun le fait à sa sauce en respectant certains principes, comme ne rien faire au début et observer. Il est intéressant de constater que les municipalités s’y mettent, principalement pour des raisons économiques, alors que les particuliers agissent par engagement, même si c’est aussi économique. Je connais plusieurs personnes qui ont commencé à faire du jardin punk parce qu’elles n’avaient pas un radis. Elles ne pouvaient pas arroser avec l’eau de la ville, elles n’avaient pas de tondeuse ou n’arrivaient pas à mettre d’essence dedans si elles en possédaient une.

La volonté, émanant de la compréhension, est plus importante que les moyens. Le punk n’est pas idéaliste, il a un regard lucide sur les choses. J’aime me démarquer de la permaculture, car elle a tendance à devenir un foure-tout, lorsqu'elle est accaparée par les néo-ruraux ou des citadains un peu trop idéalistes.

À travers le jardin punk, vous invitez à un lâcher-prise. Faut-il également pousser le concept plus loin que le fond de son jardin ?

Le jardin punk est un appel à la réflexion sur notre état de confort, une invitation à repenser nos besoins, à remettre en question le modèle actuel. Le punk conteste ce qui est imposé pour dénoncer son absurdité, sans chercher le pouvoir.

Il est urgent de se reconnecter pour comprendre où se situent les nécessités, comprendre pour ne plus détruire. À force de vouloir la maîtriser, nous avons oublié l'apaisement que pouvait nous procurer la nature dans nos propres jardins.

 

Petit Traité du jardin punk
Auteur : Eric Lenoir
Éditions : Terre vivante
Prix : 10€

Cet ouvrage a reçu le Prix Saint-Fiacre 2019, décerné chaque année par l’Association des Journalistes du Jardin et de l’Horticulture (AJJH).