La distanciation sociale : une pratique qui règne dans le monde animal ?

singes
distanciation sociale singes
© Pixabay
Par Charlotte Vierne publié le
Journaliste indépendante

La COVID-19 a imposé la distanciation sociale comme la nome régissant désormais nos interactions humaines. Mais une étude récente parue dans BioScience et menée par deux chercheurs américains de l’université de Floride semble suggérer que cette pratique préexiste depuis longtemps dans le monde animal. Ou quand nous pourrions nous inspirer du monde sauvage !

Alors que le spectre des variants semble annoncer un chemin plus tortueux qu’espéré vers la sortie de l’épidémie, la COVID-19 impose décidément de nouvelles normes dans les interactions humaines dont la plus évidente demeure la généralisation de la distanciation sociale, qui selon une recherche réalisée en 2020 devrait être nécessaire jusqu'en 2022. 
Mais loin d’être une invention humaine, il s’agit là d’une pratique largement éprouvée par de nombreuses espèces animales qui, des singes aux langoustes, ont trouvé là le moyen de lutter contre les pathogènes faisant rage dans le monde sauvage. C’est en tout cas le principal enseignement de l’étude « Behavioral Immunity and Social Distancing in the Wild: The Same as in Humans ? » (Comportements immunitaires et distanciation sociale dans le monde sauvage : semblables chez l’Homme ?), parue en février dernier dans BioScience et menée par Marc J. Butler et Donald C. Berhinger, deux chercheurs en Biologie de l’université de Californie.

Quand la sociabilité favorise les pathogènes

De tous temps, le développement des pathogènes a été facilité par les déplacements et la sociabilité. Et dans le monde sauvage, les animaux se regroupent et socialisent pour de nombreuses raisons rappellent les chercheurs : défenses de ressources communes, accouplement et échange d’informations comptent au nombre des principaux avantages présidant à ces phénomènes d’agrégation. Mais, au-delà de leurs bénéfices évidents, ces rassemblements peuvent également avoir un coût : « ils augmentent les probabilités de compétition entre individus, favorisent les infanticides et la consanguinité et sont surtout le lit du parasitisme et des maladies », indique encore l’étude. Et, à l’instar des hommes avec la COVID-19, les animaux ne sont pas épargnés par les phénomènes de pandémies. Ainsi, « en Amérique du Nord, le syndrome du museau blanc (SMB), une infection fongique, a tué des millions de chauves-souris et provoqué la disparition de plus de 90 % de certaines espèces ».
Dans la même région, « l’apparition du virus du Nil occidental en 1999 a, pour sa part, provoqué le déclin de nombreuses espèces d'oiseaux : on estime ainsi que 45 % de la population de corneille d'Amérique a été décimée par ce virus ». Et l’Europe n’est pas en reste puisque les lapins y sont décimés par la maladie virale hémorragique du lapin (VHD), causée par un calicivirus.

Dans ce contexte et alors que les pathogènes sont légion dans le monde sauvage, seule la capacité à identifier et à atténuer ces risques permet aux animaux de bénéficier des interactions sociales malgré ces inconvénients. « Il est d’ailleurs frappant de constater que, parmi les espèces sociales, la sélection naturelle favorise les individus capables de faire la synthèse des avantages et des risques de la socialité, en reconnaissant et en évitant les situations à risque », notent encore les chercheurs. De la femelle élan qui, temporairement, abandonne la sécurité du troupeau en faveur de l'auto-isolement, favorisant ainsi la survie des nouveaux nés, aux langoustes qui se rassemblent dans des tanières rocheuses pour éloigner les prédateurs, tout en évitant les abris occupés par leurs congénères malades… les exemples de tels compromis évolutifs ne manquent pas.

Humains et animaux : des stratégies de défense semblables

Face aux pathogènes, les animaux sauvages sont donc, bien entendu, capables d’adaptations : physiologiquement, la présence de parasites met en œuvre une chaîne de mécanismes engageant leur système immunitaire pour s’en débarrasser. « Mais ces réponses immunitaires ont un coût : l'activation répétée du système immunitaire pour conjurer les infections peut par exemple réduire la capacité de fécondité de l’hôte », indiquent Marc J. Butler et Donald C. Berhinger, d’où la nécessité pour l’ensemble des espèces d’économiser, autant que faire se peut, les réponses immunitaires.

Dans ce contexte et alors que les pathogènes sont légion dans le monde sauvage, seule la capacité à identifier et à atténuer ces risques permet aux animaux de bénéficier des interactions sociales malgré ces inconvénients. « Il est d’ailleurs frappant de constater que, parmi les espèces sociales, la sélection naturelle favorise les individus capables de faire la synthèse des avantages et des risques de la socialité, en reconnaissant et en évitant les situations à risque », notent encore les chercheurs. De la femelle élan qui, temporairement, abandonne la sécurité du troupeau en faveur de l'auto-isolement, favorisant ainsi la survie des nouveaux nés, aux langoustes qui se rassemblent dans des tanières rocheuses pour éloigner les prédateurs, tout en évitant les abris occupés par leurs congénères malades… les exemples de tels compromis évolutifs ne manquent pas.

En outre, certaines fourmis utilisent des poisons pour désinfecter leurs colonies et prévenir les épizooties. Quant aux abeilles (Apis mellifera), « elles détectent les larves mortes alors qu'elles sont encore dans leur couvée et les retirent de la ruche pour réduire la probabilité de maladie ». Et sans surprise, les animaux dont les structures sociales sont les plus évoluées ont les comportements sanitaires les plus sophistiqués. En plus des stratégies d’assainissement, on constate dans le monde sauvage des subdivisions de population, une limitation des interactions et même une distanciation sociale individuelle. Ainsi, certaines espèces de fourmis et d’abeilles pratiquent le « suicide altruiste » et, pour éviter la transmission d’agents pathogènes, les individus infectés abandonnent leurs colonies. Plus étonnant encore, certaines espèces adoptent des mesures semblables à la quarantaine : « chez les abeilles, on constate la présence de "garde" à l’entrée des ruches interdisant l’entrée à leurs congénères malades ».
Comme les humains, de nombreuses espèces ont recours aux pratiques de distanciation sociale : les chimpanzés en particulier évitent ainsi de fréquenter des individus extérieurs à leur groupe social et ostracisent les individus infectés par des maladies telles que la polio. Et « la distance sociale affecte également les interactions reproductives, comme on le voit chez les souris domestiques femelles qui évitent de s'accoupler avec des parasités mâles susceptibles de les infecter ».

Une fin commune, des moyens différents

Si nombre d'espèces sauvages pratiquent donc la distanciation, cela suppose de trouver des moyens de détecter les congénères infectieux. « Or, la distanciation sociale humaine et les signaux que nous utilisons pour détecter les personnes infectées diffèrent fondamentalement de ce qui se pratique chez les animaux sauvages », notent Marc J. Butler et Donald C. Berhinger.
En l'absence de tests de diagnostic, les humains se fient, en effet, à des signaux visuels tels qu'une apparence fiévreuse ou auditifs tels que la toux. Chez les animaux, l'olfaction semble être le sens le plus couramment utilisé pour détecter la maladie chez leurs congénères. Ainsi, « les indices chimiques émis par le têtard de Ouaouaron infectés par un champignon potentiellement mortel (Candida humicola) suscite une réponse d'évitement par ses congénères en bonne santé ». Et les langoustes saines utilisent également des odeurs pour détecter les Individus infectés qu'elles ostracisent ensuite.
Chez les humains comme dans le monde sauvage, les agents pathogènes ont donc un pouvoir immense pour stimuler la dynamique des populations, altérer la stabilité de la communauté et influer sur nos comportements !

Source(s):