Quel est l’avenir du bio en France ? Voici l’avis de Jacques Caplat, expert en agriculture biologique
Jacques Caplat est un agronome reconnu à l’international dans l’univers du bio. Fils d’éleveur, il est l’auteur de “L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité”, de “Changeons d’agriculture, réussir la transition” et de plusieurs rapports nationaux sur l’agriculture biologique. Il a également animé pendant plusieurs années un groupe d’experts français sur les semences biologiques, participé au groupe de concertation sur les OGM du Commissariat du plan. Jacques Caplat est également l’un des co-fondateurs du Réseau Semences Paysannes et administre l’association Agir pour l’Environnement. Nous avons eu la chance de pouvoir l’interviewer lors de la journée conférence La Bio dans les Étoiles le 07 avril dernier, organisée par Ekibio à Annonay.
Bio à la Une : Cela fait plusieurs années que vous militez sur tous les fronts pour faire progresser l’agriculture bio. Estimez-vous que les choses évoluent positivement ? La transition est-elle réellement en marche ?
Jacques Caplat : À l’échelle planétaire, on se rend bien compte que l’agriculture doit évoluer vers autre chose. On constate qu’elle est en crise dans tous les domaines : économique, environnemental, et énergétique. Cette agriculture qui domine le monde aujourd’hui n’est pas du tout tenable et la plupart des gens en sont conscients. L’évolution de l’agriculture vers la bio est pour moi une lame de fond. On en est qu’au début. Non seulement en termes de consommation, de demande, mais aussi en termes d’attentes sociétales plus larges.
Cette agriculture qui domine le monde aujourd’hui n’est pas du tout tenable et la plupart des gens en sont conscients.
L’évolution vers la bio est quelque chose de profond, mais il y a encore des blocages malgré une dynamique enclenchée. Quand on commence à atteindre, comme en France, plus de 5 pour cent des surfaces cultivées, c’est un niveau qui devient irréversible, il y a un effet d'entraînement qui se met en route et c’est vraiment encourageant.
Combien de temps encore pensez-vous que l’agriculture dite conventionnelle tiendra-t-elle debout ? En d’autres termes, quand imaginez-vous que le bio prendra le pouvoir ?
Je ne suis pas madame soleil (rire). J’aimerais que ce soit dans une vingtaine d’années, ça sera peut-être à une échéance de 50 ans. Si c’est le cas, ça sera avec beaucoup de dégâts, contraint, forcé et douloureux pour les agriculteurs, parce qu’on aura plus le choix. On sera à un moment ou ça sera une question de vie ou de mort, vraiment !
Si on arrive à faire la transition dans les 10 ou 20 ans qui viennent, la transition sera faite beaucoup plus en douceur. Les choix seront positifs et valorisants pour les agriculteurs. Ça peut se passer de façon très positive.
Pour cela, il faudrait que dans les trois à cinq ans qui viennent, on ait un accompagnement très fort, un démarrage important d’une dynamique de conversion qui permettrait d’emmener quasiment tous les agriculteurs français vers la bio sur une quinzaine d’années. On peut très bien imaginer dans 20 ans une France 100% bio. De quoi largement nourrir la France et au-delà en plus de permettre aux agriculteurs de vivre de leur travail.
La transition va devoir être forcée si on attend trop ?
Oui, car d’ici une cinquantaine d’années on n’aura plus de phosphate pour amender les sols. Dans l’agriculture conventionnelle, on utilise de l’azote chimique qui vient directement du pétrole et qui est extraordinairement contributeur à l’effet de serre. On pense souvent que les transports et le méthane de ruminants sont la contribution principale de l’agriculture à l’effet de serre. C’est faux. Le premier poste contributeur à l’effet de serre en agriculture française est l’azote chimique apporté pour fertiliser les cultures. C’est donc un très gros problème.
Le phosphore, autre apport important d’engrais, est un minerai qui va être épuisé d’ici une quarantaine d’années. Peut-être pas complètement, mais le pic est pour très bientôt.
Tout cela pour dire que continuer l’agriculture conventionnelle va être de plus en plus cher, de plus en plus difficile, de moins en moins performant. Techniquement, cette agriculture ne sera plus possible. Environnementalement, c’est un désastre. Elle est faite pour des climats sécurisés, absolument stables et demande des semences standardisées. L’agriculture conventionnelle ne marche que si on arrive à reproduire un milieu de culture conforme aux modèles qu’ont construis les agronomes en laboratoire. Avec le dérèglement climatique, c’est de moins en moins facile à faire. D’ici 30, 40, 50 ans ce sera quasiment impossible. Une année sur deux, cette agriculture ne produira rien, mais plutôt que de la présenter en négatif, je préfère me dire on a les solutions donc mettons-les en place !
L'agriculture bio est une révolution"L'agriculture bio est une révolution. L'adopter c'est faire enfin cette révolution pour adhérer à une démarche scientifique moderne." Propos de Jacques Caplat, interviewé lors de la journée conférence La Bio dans les Étoiles organisée par la Fondation Groupe Ekibio le 7 avril 2017 à Annonay.
Posted by Bio à la Une.com on Thursday, May 11, 2017
Faut-il être optimiste ou pessimiste face à cette situation ?
L’agriculture est la première responsable des inondations c’est temps-ci, parce que les sols agricoles n’arrivent plus à absorber les pluies. Or ils constituent l’essentiel des surfaces françaises. Ils sont de plus en plus dégradés à cause des cultures pures, les semences standardisées et la sur-mécanisation. D’où les inondations qui amènent une érosion et une perte des sols, un autre facteur sur lequel on va dans le mur. C’est un bilan inquiétant. On pourrait être pessimiste, mais si on est assez intelligent, cette inquiétude pourra être évacuée pour consacrer son énergie au développement de la bio.
On pourrait être pessimiste, mais si on est assez intelligent, cette inquiétude pourra être évacuée pour consacrer son énergie au développement de la bio.
Si on fait les bons choix maintenant, la transition peut être joyeuse. Je peux vous dire que les agriculteurs qui passent en bio sont des agriculteurs heureux, des agriculteurs qui retrouvent le plaisir d’observer, d’innover, d’expérimenter, d’être en relation avec leurs voisins parce que la bio sous-entend l’échange, l’entraide. En plus, un agriculteur bio sait qu’il fait plaisir aux consommateurs et ils lui rendent. C’est sacrément plus agréable d’être agriculteur en ayant un retour positif qu’en ayant des critiques.
Dans ses débuts, le mouvement bio est parti des agriculteurs. Aujourd’hui, est-ce plus important de convaincre les consommateurs, les agriculteurs, les industriels ou les politiques ?
J’ai l’impression qu’en ce moment, les politiques sont le maillon faible. Ils ne comprennent pas les outils, les aides, le dispositif public d’encadrement de l’agriculture. Aujourd’hui, les agriculteurs sont prêts à être convaincus, mais le changement est une insécurité. Si on arrive à le sécuriser en leur expliquant que ça fonctionne sans perdre de revenus, les agriculteurs sont prêts à y aller, même ceux qui aujourd’hui s’en moquent peuvent très vite changer d’avis. J’en ai connu qui ont basculé très rapidement lorsqu’ils ont compris ce qu’était vraiment la bio et lorsqu’ils ont compris que ça pouvait fonctionner sans les mettre en danger. Donc les agriculteurs sont prêts à changer.
J’ai l’impression qu’en ce moment, les politiques sont le maillon faible. [...] Ils ont été formés depuis 60 ans à un mode de pensée agricole et agronomique qui est complètement dépassé.
Ceux qui sont les plus durs à faire changer sont les politiques. Ils ont été formés depuis 60 ans à un mode de pensée agricole et agronomique qui est complètement dépassé. Ce n’est pas seulement un problème de lobbies, c’est aussi un problème de formatage intellectuel. Ils ne comprennent pas qu’on peut faire autrement. Je suis un peu méchant, mais je pense que les hommes politiques ont une vraie méconnaissance des mécanismes sociaux du changement, une très grande méconnaissance de ce qu’est l’agronomie, en particulier l’agriculture bio et en plus ils sont sous la pression de lobbies internationaux. Il faudra peut-être que demain les actions politiques soient davantage portées par les citoyens.
Devient-il nécessaire de changer l’image de l’agriculture ?
À une époque, l’agriculture été considérée comme la filière professionnelle de l’échec. C’est malheureux et ça explique en partie les problèmes qu’on rencontre aujourd’hui. Avant, l’enfant qui devenait agriculteur dans une famille était celui qui avait raté, alors que si on réussissait ses études on sortait du monde rural, on allait à la ville. La représentation sociale de l’agriculteur est très dévalorisée et a créé un manque de main-d’oeuvre. En plus ça demande beaucoup de boulot et pas très bien payé, alors faut le vouloir pour devenir agriculteur. Il est urgent de rectifier cette erreur, redonner à l’agriculture toute sa valeur.
Effectivement l’agriculture, comme le disent Claude et Lydia Bourguignon, est très pointue, c’est de la très grande science, en particulier l’agriculture biologique. La bio est extrêmement moderne en termes de concepts, en termes de démarches scientifiques, en termes d’outils utilisés et innove en permanence. Il faut arriver à lui redonner l’attractivité qu’elle mérite.
Que faut-il faire pour redynamiser l’agriculture et pour qu’elle redevienne attractive ?
Il faut commencer par se poser les bonnes questions. Pourquoi est-ce que les agriculteurs ont du mal à trouver des salariés agricoles par exemple ? C’est en partie parce que l’agriculture à mauvaise image. C’est aussi parce qu’un salarié agricole sait qu’il faut beaucoup travailler en n’étant pas très bien payé. L’ennui c’est qu’aujourd’hui le travail coûte très cher, parce qu’on a fait ces choix là il y a une soixante d’années. Dans l’agriculture, on a voulu libérer des bras, car on manquait de main-d’oeuvre dans les autres activités humaines. Alors on a pénalisé le travail en le remplaçant par des machines et de la chimie.
Après la Seconde Guerre mondiale, on manquait terriblement de bras. C’est pour cela qu’on a fait venir des immigrés. Il ne faut pas l’oublier. Ensuite, on a fait la révolution agricole pour que les agriculteurs quittent la terre et aillent en ville servir de main d’oeuvre. Tout cela était concevable à une époque où on manquait d’homme et de femme et où on pensait que l’énergie était abondante et bon marché. Aujourd’hui, dans un monde de chômage de masse et où l’énergie va être de plus en plus rare et chère, ça devient un contre sens total.
À l’époque, on a fait le choix de faire peser les contributions sociales sur le travail et pas du tout sur l’énergie, la chimie et le matériel. C’est un choix et pas du tout une règle immanente. On peut très bien rééquilibrer les choses. Je ne dis pas qu’il faut baisser les charges sociales, mais mieux les répartir.
Que voulez-vous dire par rééquilibrer les charges ?
Actuellement, un agriculteur doit rajouter 1€ de contribution sociale pour 1€ de salaire lorsqu’il veut embaucher un salarié. Ça double le prix. S’il achète du matériel agricole, il a 0.50€ de subvention pour 1€ d’investissement, notamment par des prêts bonifiés qui sont des subventions. Il y a un rapport de 1 à 2 dans un sens, et de 1 à 2 dans un autre, donc ça fait un rapport de 1 à 4 au total, soit 400% d’écart selon qu’on choisit du matériel ou un salarié. Avec 10 ou 20% on oriente une filière, vous imaginez avec 400% comment on oriente un choix.
Il y a un rapport de 1 à 4, soit 400% d’écart selon qu’on choisit du matériel ou un salarié.
À l’échelle française, on peut très bien décider de rééquilibrer les contributions sociales. Je précise bien rééquilibrer, parce qu’on pense parfois qu’il faut les baisser. Évidemment, il faut aussi qu’on donne la possibilité aux agriculteurs de travailler ensemble pour pouvoir prendre des week-ends et des vacances. Personne aujourd’hui n’a envie de travailler tout le temps sans week-end ni vacances. Il faut donc qu’on organise les systèmes agricoles pour que les fermes puissent s’entraider, forme des structures uniques de plusieurs entités pour pouvoir avoir des week-ends, des vacances.. C’est indispensable si on veut que demain l’agriculture soit attractive.
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