Distances d'épandage : rejet du recours d'urgence des maires anti-pesticides
Nouveau revers pour les anti-pesticides: la plus haute juridiction administrative du pays, sans avoir encore examiné le dossier sur le fond, a rejeté vendredi leur demande de suspension en urgence des distances minimales d'épandage fixées en décembre par le gouvernement.
Le juge des référés (procédure d'urgence) du Conseil d'Etat a estimé que "la condition d'urgence" à se prononcer sur les textes publiés le 27 décembre par le gouvernement n'était pas remplie. La procédure se poursuivra donc sur le fond, avec une décision attendue "dans les prochains mois" selon le Conseil.
L'arrêté et le décret contestés, publiés après plusieurs mois de polémique, confirmaient les distances minimales depuis les habitations pour l'utilisation des pesticides, qui avaient été mises en consultation publique à l'automne : cinq mètres pour les cultures dites basses comme les légumes et céréales et dix mètres pour les cultures hautes, fruitiers ou vignes. Distance portée à 20 mètres pour les produits "les plus dangereux", qui représentent environ 0,3 % des substances actives utilisées.
Emmené par l'emblématique maire de Langouët (Ille-et-Vilaine) Daniel Cueff, qui avait pris dès mai 2019 un arrêté anti-pesticides (annulé par le tribunal administratif) pour le territoire de sa commune, le collectif des maires anti-pesticides, qui compte environ 120 édiles, avait contesté ces décisions en urgence.
Mais le juge des référés a rejeté la notion d'urgence, s'appuyant notamment sur le fait que les plaignants "se bornent à critiquer de manière très générale les distances de 5, 10 et 20 mètres et les dérogations qui peuvent y être apportées, en indiquant que de telles distances ne peuvent sérieusement être regardées comme satisfaisant à l'obligation de protection des riverains", et ce alors même que ces distances correspondent à celles préconisées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
"Droit à l'empoisonnement"
Il relève encore que "les autres États membres de l'Union européenne n'imposent pas, à ce jour, de distances de sécurité générales supérieures" à celles retenues en France. La décision du gouvernement avait fait l'objet d'un bras de fer entre grands syndicats agricoles et ONG environnementalistes. Les premiers dénonçaient une forme "d'agri-bashing", les secondes fustigeaient le poids des "lobbies agricoles et de l'industrie phytosanitaire".
Elle était également intervenue dans un contexte de fronde de maires, puis de collectivités locales, qui avaient multiplié les arrêtés interdisant ou limitant l'usage de pesticides. Arrêtés systématiquement attaqués par les services de l'Etat et pour la plupart retoqués par la justice administrative.
"Je suis très déçue mais perdre sur l'urgence c'est moins grave que perdre sur le fond", a réagi auprès de l'AFP Me Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Environnement et avocate des requérants. "Mais c'est tout de même étrange, un pays qui ne trouve pas d'urgence à limiter le droit à l'empoisonnement", a-t-elle poursuivi.
Déplorant ce rejet "dramatique", le collectif des maires a de son côté "exigé que les mesures détenues par l'Anses (via les agences de l'air) sur la présence des pesticides dangereux dans l'air autour des champs traités soient rendues publiques immédiatement. Jusqu'à quand faudra-t-il attendre pour que la santé des riverains soit prioritaire sur toutes autres considérations ?"
Plusieurs associations, dont France Nature Environnement, Générations Futures, Solidaires ou l'UFC Que Choisir, ont de leur côté jugé "d'autant plus indispensable" après cette décision le recours sur le fond contre les zones d’épandage qu'elles doivent déposer le 25 février.
Le ministère de la Transition écologique et solidaire n'a pas souhaité réagir, alors que le syndicat des industries phytosanitaires UIPP n'a pas immédiatement répondu aux sollicitations de l'AFP.