Troubles digestifs, migraines, eczéma... : quand le psychisme influe sur le corps
Maux de tête, de ventre, de dos, crampes, spasmes, paralysies ou encore malaises… Ces symptômes physiques récurrents, sont assez fréquents dans la population. Quels messages peuvent bien nous envoyer ces troubles ? Faut-il y voir une interprétation systématique en fonction du lieu du corps où ils se manifestent ? Deux spécialistes, Aurélien Benoilid, neurologue à Strasbourg, auteur du livre “Non, ce n'est pas que dans votre tête”, et Jean-Benjamin Stora, psychologue et psychosomaticien, décryptent pour Bio à la Une ces douleurs à caractère psychosomatique.
Pas toujours évident de nommer ce que nous ressentons. En cas d’incapacité du psychisme à élaborer une pensée structurée, le corps va se charger à merveille de traduire notre vécu par un mécanisme appelé la somatisation. Celle-ci a lieu lorsqu’une émotion, un sentiment (affect), un stress, un choc émotionnel ( deuil, accident, maladie, perte d’un travail etc..) ou un traumatisme passé se manifestent sous forme de symptômes corporels. Qui, par exemple, n’a pas expérimenté, sous l’effet du stress, des maux de dos ou de ventre passagers ? Plus insidieuses, des douleurs inhabituelles peuvent s’installer de manière chronique et invalidante.
Troubles fonctionnels légers et somatisations plus graves
Parmi la liste des troubles fonctionnels légers et les pathologies somatiques plus graves, on retrouve le plus souvent :
- des maux de tête intenses (céphalées, migraines)
- des maux de ventre ( colopathie fonctionnelle ou syndrome du côlon irritable)
- des troubles digestifs (diarrhée, constipation)
- des maux de dos ( lombalgies, sciatiques, cervicalgies)
- des douleurs musculaires, articulaires, neurologiques ( tendinites, fibromyalgie)
- des problèmes de peau ( eczéma, psoriasis, dermatite , zona)
- des palpitations, oppressions thoraciques
- des vertiges ou malaises.
- des maladies auto-immunes ( sclérose en plaques, syndrome de Goujerot, Polyarthrite rhumatoïde etc..)
Aurélien Benoilid, neurologue à Strasbourg, s’est intéressé à ces patients qui se sentent coupables, n’obtenant pas d’explication à leurs troubles devenus handicapants. Au fil des consultations, il s’est rendu compte que de nombreuses personnes étaient sans réponse thérapeutique sous prétexte que leurs examens médicaux ne révélaient aucune pathologie.
“Avant de faire le diagnostic d’une maladie psychosomatique, le médecin doit s’assurer qu’il n’existe pas de cause physique pouvant expliquer les symptômes”, rappelle le soignant. Un examen physique complet et des examens complémentaires (prise de sang, radio, avis de spécialistes) sont nécessaires pour s’en assurer. Autrement, “sans diagnostic, ces patients douloureux repartent des cabinets avec des phrases du type “c’est dans votre tête, c’est psychosomatique. Pourtant ce sont des gens qui souffrent. Leurs symptômes ne sont pas imaginaires. Leur handicap est réel et n’est pas reconnu par la famille, la société, les médecins. Il y a parfois une incapacité à travailler, à avoir une vie sociale. “ détaille Aurélien Benoilid.
Des sources multifactorielles
Le spécialiste préfère parler de douleur à composante psychosomatique en classant ainsi le symptôme dans un nuancier. Par exemple, “deux personnes qui ont une arthrose cervicale ne vont pas réagir de la même manière, l’un faisant un torticolis tandis que l’autre deviendra douloureux chronique”. Le vécu du patient serait, selon lui, la résultante de la combinaison de plusieurs facteurs: la génétique, l’épigénétique, le microbiote, l’ histoire de l’individu, les relations qu'il entretient avec autrui et son environnement”.
Ainsi, il serait hasardeux d’interpréter une douleur en fonction du lieu du corps où elle se manifeste. Certaines médecines traditionnelles comme en Chine font le lien entre les organes malmenés et les émotions. Le foie correspond à la colère, la vessie à la peur, le poumon à la tristesse par exemple. Pour Jean-Benjamin Stora, psychologue, psychosomaticien, président de l’Institut de Psychosomatique Intégrative, l’organe concerné par les troubles va dépendre du vécu somatique de chacun au cours des dernières années ou plus tôt dans l’enfance. “Le cerveau est capable de réactiver des troubles vécus dans les premières années de vie”.
Interroger son histoire
D’un point de vue occidental, on sait aujourd’hui que le système nerveux peut dysfonctionner à cause d'un choc émotionnel, un traumatisme physique, en envoyant de mauvais signaux de douleurs comme dans le cas de la fibromyalgie, un syndrome caractérisé par des douleurs musculaires chroniques et diffuses dans l'ensemble du corps. “Après un deuil, il peut se produire une dépression du système immunitaire”, ajoute Jean-Benjamin Stora.
Par ailleurs, “on s’intéresse peu traumatisme psychique ou une agression sexuelle qui aurait pu avoir lieu dans l'enfance, souligne Aurélien Benoilid. Je demande systématiquement à mes patients s'ils ont connu des épisodes émotionnels compliqués et s'ils ont été victimes d'agression sexuelle." Le stress chronique dans l’enfance lors des 1000 premiers jours peut aussi avoir des répercussions des années après sur l’organisme d’un individu, d’où l’intérêt d’interroger son parcours, relève Jean-Benjamin Stora.
Les pistes de thérapie
Aurélien Benoilid explique que, face à des douleurs à caractère psychosomatique, il est nécessaire d’être écouté et cru par son entourage et le corps médical pour commencer à aller mieux. En ce sens, Jean-Benjamin Stora souligne “le rôle maternel et empathique du thérapeuthe est très important pour ses patients, qui ont souvent du mal à conscientiser leurs affects, à se défendre mentalement pour imaginer des pistes de réflexion face à un stress pour le réduire.” Au lieu de cela, l'affect, la contrariété va emprunter une autre voie neurologique, provoquant des troubles somatiques comme une migraine ou une colopathie, avance Jean-Benjamin Stora.
C’est pourquoi, il peut être intéressant de réfléchir à sa propre histoire et à son propre état émotionnel face aux divers stress quotidiens, selon les deux spécialistes. Quand les examens médicaux ne décèlent pas d’anomalie, il y a la possibilité de se tourner vers un psychothérapeute, un sophrologue, un hypnotherapeuthe pour soulager les maux inexpliqués. Les techniques psychocorporelles visant à détendre le corps pour apaiser l’esprit comme la sophrologie ou la réflexologie par exemple se révèlent très aidantes, tout comme l’art thérapie (peinture, musique, théâtre, danse) qui permet d’exprimer ses émotions.
Pour aller plus loin :
“Non, ce n'est pas « que » dans votre tête ! d’Aurélien Benoilid, Marabout
“Quand le corps prend la relève” de Jean-Benjamin Stora, Odile Jacob